Tpir d’Arusha: des places à prendre

Il est une des tâches dans lesquelles excellent vraiment les techniciens (entendez les hommes à tout faire) du régime en place à Kigali : tronquer les informations. A la lecture de leur riche littérature, l’on sait exactement le nombre de Rwandais que « le gouvernement a tiré de la pauvreté », mais pas celui de ceux qui se sont appauvris entre-temps. L’on peut tout également savoir le nombre de réfugiés rapatriés et non celui de ceux qui ont pris un one way ticket, cet aller simple que prennent ceux qui peuvent se glisser entre les doigts assassins des services de sécurité du régime. Il peut être connu le nombre d’enfants scolarisés, jamais celui des exclus injustement du système scolaire. Le verre du Front patriotique rwandais est donc toujours à moitié rempli, jamais à moitié vide. C’est avec cette loupe qu’il faudrait lire les récents développements des verdicts du Tribunal pénal international du Rwanda. Deux nouveaux acquittés, mais qui mettre dans les cellules ainsi libérées ?
Les candidats ne manquent pourtant pas : une rapide revue des troupes Rdf, les forces du général Kagame suffira à confectionner une liste de galonnés coupables jusque dans leurs bottes. Depuis qu’elle a entamé l’invasion du pays, puis la conquête du pouvoir, l’armée rwandaise a commis des exactions partout où elle passait. Membre d’une commission qui enquêta au Rwanda en 1993, un activiste des droits de l’homme rendu célèbre par ses pleurs à la télévision française affirmera dans un rapport : « des centaines de civils avaient été tués par le FPR, dans plusieurs communes frontalières ou non frontalières ». La commission ajouta : « le FPR doit assumer les actes qui ont été commis sous le couvert de ses propres opérations ». Ces phrases ne seront jamais retenues par tous ceux qui ont fait de ce rapport un réquisitoire contre toute une ethnie et, plus tard, l’une des preuves de la planification du génocide des Tutsi. Les places libérées par les acquittés d’Arusha pourraient au moins servir à héberger les autres criminels visés par ce pleurnichard.
Parlant de ces autres criminels, un nom saute tout de suite à la mémoire des Rwandais. Fred Ibingira. Ce commandant de la Rwanda Reserve Force est doublement célèbre au pays des afande. Il est analphabète et porte le sobriquet de « boucher de Kibeho ». A la tête du 157è bataillon de l’Apr (actuellement Rdf), ce lieutenant-général qui n’était encore que lieutenant-colonel a bombardé le camp de déplacés de Kibeho, faisant plus de 6 000 morts. A ce jour, il n’a toujours pas été inquiété ni par son patron, ni par les alliés de ce dernier qui savent pourtant crier justice lorsque les techniciens leur ont montré une « proie » facile. De par son illettrisme, le pauvre Ibingira ne peut même pas bénéficier du programme de blanchiment des mains sales mis en place par la clique de Kagame. Par une manipulation dont cette dernière a le secret, des officiers qui ont commis des massacres se relaient à des postes qui au Darfour, qui au Sud Soudan, qui en Côte d’Ivoire, voire en Haïti. En Afandie ils croient que ce manège soustraira ces olibrius des mains de la justice internationale. Une place conviendrait donc à Ibingira à Arusha.
Et il n’est pas le seul. Le plus dur dans cette armée sera de séparer un jour le bon grain de l’ivraie car d’une manière ou d’une autre tout le cadre a été impliqué dans les innombrables guerres de la région avec toutes les exactions qui s’en suivaient. Seule la volonté politique fait défaut, sinon les éléments probants abondent. Des révélations du lieutenant Joshua Ruzibiza aux regrets des partisans du général Kayumba Nyamwasa, les juges n’auront qu’un embarras de choix quant aux preuves. Et s’ils venaient à ne pas être satisfaits, un autre rapport, quelque part dans des bureaux cossus, est là pour éteindre leur curiosité. Le mapping report assène : « Le comportement de certains éléments de l’AFDL/APR à l’égard des réfugiés hutu et des populations hutu établies au Zaïre à cette époque semble s’inscrire dans le cadre « d’une série manifeste de comportements analogues dirigés contre ce groupe » duquel un tribunal pourrait même déduire l’existence d’un plan génocidaire »… Les artisans de ce plan ont déjà été identifiés par les rescapés et par… un juge espagnol.
A la veille du 16è anniversaire des massacres de Tingi-Tingi, un simple acquittement venu d’Arusha ne saurait donc faire oublier l’injustice qui dure depuis si longtemps. Trop peu, trop tard. Le mieux que ce tribunal plusieurs fois déshonoré pourrait faire est de ne pas laisser vide les places libérées alors que les candidats sérieux attendent. « Le plus grand mal, disait Platon, à part l’injustice, serait que l’auteur de l’injustice ne paie pas la peine de sa faute ».
Cecil Kami
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