Quand on a tort d’avoir eu raison trop tôt

Par Patrick Mbeko

Le 18 avril 2018, soit neuf mois avant les élections RD Congolaises, je publie un papier dans lequel je souligne que « Félix Tshisekedi est la carte ultime de Joseph Kabila ». Le 7 décembre de la même année, alors que la campagne électorale bat son plein, je publie une note d’analyse au titre prémonitoire : « Pourquoi Martin FAYULU a toutes les chances de devenir le prochain président de la République à démocratiser du Congo ». Dans ce papier, je note : « […] De mon point de vue, Martin FAYULU est celui qui sera adoubé par la communauté internationale en cas de contestation. Un facteur important milite en sa faveur : le fait qu’il ait été désigné « candidat commun de l’opposition » congolaise par les têtes d’affiche de cette même opposition.

Malgré le retrait de Félix Tshisekedi et de Vital Kamerhe de l’accord de Genève (ce qui a contribué à les décrédibiliser aux yeux de l’opinion publique intérieure et extérieure), cela aura certainement une incidence non négligeable aussi bien au moment du vote que lorsque viendra le temps de la contestation. Certains diront que les deux membres de CACH (VK et FT) sont plus « populaires » que FAYULU, ce qui est vrai. Mais se contenter du facteur «popularité» dans le contexte de crise qui est celui de la République à démocratiser du Congo est une erreur. C’est ignorer ou ne pas comprendre que ce qui se jouera le 23 décembre, ce n’est pas tant l’élection d’un président, mais bien le combat ultime contre la Kabilie, que la grande majorité de la population ne veut plus voir. En fait, le 23 décembre, les Congolais ne vont pas se rendre aux urnes pour choisir leur président, mais bien pour voter contre Kabila et tout son système. Et leur choix se portera sur celui qui est désormais perçu comme « le candidat du peuple », peu importe ce que l’on peut penser de lui… »

L’article suscite de nombreuses réactions aussi bien sur les réseaux sociaux qu’au pays. Le lendemain, un membre très influent de la Kabilie me contacte. Pendant près de 40 minutes, nous discutons de l’article et de la situation politique explosive que traverse le pays. Avant de nous séparer, il me pose la question : « Que va-t-il se passer, selon toi ? » Je lui réponds : « Fayulu va gagner, et vous aurez le choix entre vous imposer, au risque de vous faire taper dessus par les Occidentaux qui vous attendent au tournant, ou négocier avec CACH… »

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Le 5 janvier 2019, alors que le peuple congolais est dans l’attente des résultats des élections qui ont lieu le 30 décembre 2018, je publie une réflexion dans laquelle je fais observer : « Le régime de Joseph Kabila est acculé au pied du mur. Pour se sortir de ce mauvais pas, deux solutions s’offrent à lui : abdiquer définitivement en reconnaissant la défaite du poulain Emmanuel Shadary ou tenter de diviser l’opposition en s’associant à l’une des deux plateformes (LAMUKA & CACH). Compte tenu de la position intransigeante de LAMUKA qui bénéficie du soutien de la grande majorité des Congolais, mais aussi de l’étranger… dans une certaine mesure, il ne serait pas surprenant que la Kabilie tende la main à CACH qui est lui-même en perte de vitesse et de repère. »

Le 9 janvier, quelques heures avant la proclamation des résultats provisoires des élections, un proche de Joseph Kabila me contacte et me confie que Féllix Tshisekedi sera proclamé président. Je relaie une partie de la confidence qui m’a été faite sur ma page Facebook : « Les derniers détails avec CACH sont réglés. À moins d’un changement de dernière minute, c’est Félix qui sera proclamé président par la CENI. Le chef (Joseph Kabila) l’a DÉSIGNÉ pour lui succéder. […] C’était devenu trop compliqué avec Shadary. »
Des heures plus tard, Félix Tshisekedi, qui était loin derrière Martin Fayulu et Emmanuel Shadary, est confirmé par la CENI. Dans les hautes sphères du pouvoir à Kinshasa, on parle alors du « deal » entre le FCC et CACH. Dans les jours qui suivent, l’information publiée sur ma page est confirmée par plusieurs grands journaux étrangers, dont la Libre Belgique.

Le président élu, Martin Fayulu, conteste les résultats. La situation est tendue. Dans les jours qui suivent, l’Union africaine (UA) demande à la Cour constitutionnelle congolaise de suspendre la proclamation des résultats définitifs des élections prévu le 19 janvier 2019, tout en annonçant l’arrivée d’une délégation conduite par Paul Kagame (alors président de l’UA) à Kinshasa pour décanter la situation. À Kinshasa et dans la diaspora congolaise, tout le monde retient son souffle. Le même jour, une source africaine digne de foi me confie qu’il s’agit d’une arnaque. «Personne n’est honnête dans cette histoire. J’ai honte en tant qu’Africain […] Je crois comprendre que le Président du Rwanda et le Président Ramaphoza ne jouent pas franc jeu dans cette affaire contrairement à ce qu’ils laissent croire, et cela ne plait pas beaucoup à l’Angola qui demande que le choix des Congolais soit respecté. Personne n’a besoin d’une autre guerre dans ce pays… », me confie la même source.

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Le même jour, je contacte Kinshasa et j’apprends que Joseph Kabila a dépêché une délégation à Kigali pour discuter avec Kagame. Surpris, je contacte un ami journaliste étranger pour lui en faire part. Il faut organiser la riposte, en commençant par avertir LAMUKA qui semble fonder ses espoirs sur la délégation de l’UA. En vain.

Quelques heures avant la confirmation de la fausse victoire de Félix par la Cour constitutionnelle, quelqu’un à Kinshasa me confirme que Kigali a donné son feu vert à Joseph Kabila pour que Félix soit confirmé par la Cour constitutionnelle. C’est ce qui se passera dans les heures qui vont suivre. Le lendemain, 20 janvier 2019, je publie sur ma page Facebook un papier intitulé : « Confirmation de l’élection-nomination de Félix Tshisekedi par la Cour constitutionnelle : “C’est Paul Kagame”, confie un observateur ». Dans ce billet, j’écris : « […] Cette fin de semaine a été particulièrement caractérisée par de fortes tractations diplomatiques au niveau africain. À la grande surprise de certains dirigeants du continent, la cour constitutionnelle de Kabila a confirmé l’ « élection-nomination » de Félix.

Surprise parce que Joseph Kabila était jusqu’à vendredi soir inquiet et s’était montré ouvert à la demande de l’UA. «C’est Paul Kagame», confie un observateur africain bien au fait de ce qui se joue en coulisse ces derniers jours. « Il a tenté de convaincre certains chefs d’État de la nécessité de soutenir les institutions congolaises, sans succès. Il a donc demandé à Kabila d’ignorer la demande de l’UA et d’aller de l’avant »… en confirmant la nomination de Félix afin de mettre la délégation de l’UA qui s’apprête à débarquer à Kinshasa sur un fait accompli. Certains chefs d’État (on me cite le nom du président sud-africain dont le pays est très impliqué au côté de Kabila) se seraient prêtés au jeu. »

Comme il fallait s’y attendre, plusieurs, parmi les Fatshistes et les kamerhistes, ont critiqué le papier, le qualifiant de «mensonger». D’autres compatriotes m’ont suggéré « de ne pas mettre l’huile sur le feu » et d’accorder le bénéfice du doute à Félix Tshiekedi, « mwana mboka », disaient-ils. De tous les commentaires et messages que j’ai reçus, un a retenu mon attention : il s’agit du message du compatriote Kukuniungu Nkumu M Nekongo qui, dans son commentaire sur ma page avait écrit : « Time will tell… »

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Que dit le temps alors, une année plus tard ?

La réponse se trouve dans l’article que vient de publier La Libre Belgique ce vendredi 17 juillet, article intitulé : « La nuit où Kabila a imposé Tshisekedi au monde entier. Voici un extrait de l’article : […] Deux jours plus tard, le président en exercice de l’Union africaine, le Rwandais Paul Kagame convoque une réunion d’urgence à Addis-Abeba, en Éthiopie, le siège des institutions africaines. Un seul point à l’ordre du jour : les élections en RDC. […] Dans la foulée, on apprend que cette délégation de “haut-niveau” composée des présidents rwandais, sud-africain, angolais, tchadien et namibien et du président de la commission de l’UA Moussa Faki, sera à Kinshasa le lundi 21 janvier […] Le même soir, une délégation congolaise débarque à Kigali.

Elle est emmenée par Kalev, le patron des Renseignements, exécuteur patenté des basses œuvres de la kabilie. Il est notamment accompagné par Nehemie et Beya. À leur arrivée, ils sont accueillis par James Kabarebe, ex-ministre de la Défense, démis de sa charge le 18 octobre 2018, après dix années à ce poste. La délégation lui dresse le tableau de la situation. Kabarebe leur confie qu’il est favorable au choix de Félix Tshisekedi et enjoint les Congolais d’aller convaincre Kagame. Le président rwandais, qui n’est plus depuis longtemps le “meilleur ami” de Kabila, va les écouter avant de les éconduire en leur demandant de ne rien faire. “Nous serons à Kinshasa lundi”. Avant de remonter dans leur avion, les Congolais retrouvent Kabarebe qui leur conseille de “foncer” en les rassurant :“On n’interviendra pas. Une fois que vous aurez confirmé Thisekedi, tout se calmera”. »

En Afrique, et particulièrement en RD Congo, on a souvent tort d’avoir eu raison très tôt. Ce fut aussi le cas de notre Héros national, Patrice Emery Lumumba. Quant à ceux qui se posent des questions sur l’attitude bienveillante de Félix Tshisekedi à l’égard du Rwanda de Paul Kagame, ils ont la réponse, et personne ne dira qu’il ne savait pas.
Le 17 janvier 2019, 9 présidents africains appellent à suspendre la proclamation des résultats de la présidentielle. Le 19, pourtant, la Cour constitutionnelle passe outre cet appel et proclame la victoire de Félix Tshisekedi. Enquête sur la manière dont Kabila s’y est pris pour l’imposer.