Le président rwandais Paul Kagame a été clair lors de son interview sur France 24/RFI. Questionné par des journalistes français sur les évènements survenus au Congo et dans lesquels son pays a été fortement impliqué, au point d’être accusé d’avoir commis des crimes contre l’humanité, voire un possible génocide, Kagame a répondu qu’il n’y a jamais eu de crime commis Congo. Il a fait passer le docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix, pour un plaisantin manipulé par des « forces occultes », et a même laissé entendre que les Forces de défense rwandaises (RDF) seraient présentes à l’est de la RDC, avant de revenir sur ses propos face aux questions insistantes des journalistes sur cette affaire. Que retenir de tout ça ?
Les propos de Paul Kagame ont choqué plus d’un Congolais et même des Rwandais et Burundais, mais au fond, que peut-on lui reprocher ? D’avoir craché encore une fois sur les victimes congolaises ? De tout faire pour défendre les intérêts du Front patriotique rwandais (FRP), le parti au pouvoir au Rwanda très impliqué dans la déstabilisation du Congo ? Peut-on vraiment reprocher à Kagame de cracher sur les millions de morts congolais quand celui qui joue le rôle de président en RDC est allé se prosterner à Kigali en déclarant que les victimes congolaises de la barbarie fprienne sont des dommages collatéraux ? Peut-on reprocher au Rwanda de regarder le Congo et les Congolais avec condescendance quand certains fils et filles de ce pays se montrent plus soucieux de leurs rapports avec le même Rwanda en lieu et place de privilégier les intérêts de leur propre pays ? Que peut-on vraiment reprocher à Paul Kagame quand il sait au fond de lui que les Congolais sont des gens qui sont prêts à négocier leur dignité pour des postes politiques et/ou des billets verts ?
Le numéro un rwandais est d’autant plus conscient de cette réalité qu’il a tenu ces propos outrageants après avoir rencontré Félix Tshisekedi, qui l’a affectueusement appelé «mon frère ». Autrement dit, Kagame fait comprendre au monde entier qu’il se moque de ce que peuvent penser les autorités congolaises de la question sensible des crimes commis par ses hommes en RDC. Il fait savoir à qui veut le savoir que la personne qui est au pouvoir en RDC n’est pas assez digne pour défendre les intérêts de ce pays, qu’il peut cracher sur les victimes congolaises du FPR sans crainte d’être importuné par qui que ce soit au Congo. À preuve, il n’y a eu aucune réaction de la part de Kinshasa depuis hier, et toute classe politique s’est enfermée dans un mutisme assourdissant. Ce sont ces gens, pour la plupart d’anciens délinquants, que les Congolais appellent « Honorables ». Des gens qui n’ont aucune once de dignité et aucun sens de l’honneur.
Ça fait une dizaine d’années que je travaille sur le dossier de l’Afrique des Grands Lacs, et ça fait près de 28 ans que le Rwanda de Kagame a fait de la question de la mémoire la pierre angulaire de sa politique et de sa diplomatie. Le Rwanda s’attaque violemment à tous ceux qui contestent la version du génocide imposée par le FPR. Il ne tolère aucune remise en question de l’histoire construite à l’ombre de sa victoire militaire. Nous sommes insultés et menacés pour avoir questionné le récit officiel du génocide sans, faut-il le dire, nier la réalité des massacres survenus au Rwanda en 1994. Mais au Congo, on n’est même pas capable de défendre la mémoire des millions de victimes congolaises. C’est ahurissant !
Mais quel est ce président qui accepte que l’on crache de la sorte sur la mémoire de ses compatriotes massacrés gratuitement ? C’est quoi cette classe politique incapable de défendre les intérêts de son peuple ?
Là où le Maréchal Mobutu savait défendre la dignité des Congolais, Joseph Kabila savait se taire, Félix Tshisekedi préfère humilier les Congolais et la RDC. Si à propos du Christ, les israélites pouvaient dire « un enfant nous est né, un fils nous est donné », n’ayons pas honte, nous Congolais, de reconnaître qu’une calamité nommée Félix nous est tombée sur la tête.
Et puisqu’on ne peut rien attendre de cette crasse politique, peut-on alors s’attendre à un sursaut d’orgueil de la part des étudiants, des universitaires, des journalistes ou même de ceux qui se disent de la société civile ?
Là aussi, le mal est profond. Les journalistes (ou ceux qui se définissent comme tels), sont à l’image du pays et des politiques : généralement médiocres. En situation de précarité permanente, la plupart d’entre eux ont préféré endosser la veste de porte-parole des hommes et des partis politiques, au lieu de tout simplement faire leur travail avec sérieux et objectivité. Certains d’entre eux se qualifient de « journalistes engagés » quand tout le monde sait pour quelle poche de pantalon remplie de billets verts ils roulent. S’agissant des étudiants et des membres de la société dite civile, on préfère croiser les doigts car le virus de la médiocrité et de la mendicité a déjà aussi gagné les cœurs et les esprits. Du côté des pasteurs et des artistes, la situation n’est guère enviable. Les premiers sont passés maîtres dans l’art d’endormir les fidèles pour les dépouiller, tandis que les seconds excellent généralement dans la bêtise.
Mais bordel ! Quelqu’un dans cette RDC clochardisée va-t-il monter au créneau pour dénoncer les propos de Kagame et demander au gouvernement congolais de réagir ?
La précarité, le régionalisme, le fanatisme et la cupidité ont rongé les cœurs et les esprits dans ce pays béni des dieux et maudit par les hommes. Il faut réapprendre aux Congolais à être dignes, car personne ne respecte la femme ou l’homme qui s’assoit sur sa propre dignité ou la vend au premier venu. Le pays se meurt à petit feu, sous le regard ahuri du monde entier qui envie ce Congo détesté et délaissé par ses propres enfants.
Au final, on se demande si Paul Kagame n’a-t-il pas raison de cracher sur les Congolais ? On se pose la question de savoir si le Congo peut-il encore attendre quelque chose de ses filles et fils ?
Face à cette énième humiliation devenue le quotidien d’un peuple abandonné à son triste sort, un examen de conscience collectif s’impose. Quand le Congolais renouera-t-il avec la dignité ? Quand apprendra-t-il à délaisser la médiocrité pour embrasser l’excellence ? Quand comprendra-t-il que le respect se mérite ?
L’espoir est permis, mais encore faut-il compter sur des Congolais pour qui les valeurs, les principes et la dignité ne peuvent se négocier. Comme le fruit défendu au jardin d’Éden, cette catégorie des Congolais est une denrée rare. Et c’est parce que cette rareté est une réalité qu’il est permis de croire. Croire parce que rien n’est encore définitivement perdu; croire parce que l’avenir de ce pays béni des dieux ne dépend pas uniquement de ses enfants égarés; croire parce qu’il faut croire; croire parce que c’est tout ce qui nous reste; croire parce les minorités conscientes et organisées n’ont pas encore dit leur dernier mot; croire enfin parce que pour rien au monde, ces minorités n’accepteront de négocier la dignité de leur âme et l’âme de leur pays.
PS : Au moment d’écrire ces lignes, près d’un millier d’éléments des Forces de défense rwandaises sont postés dans le parc de l’Akegera et attendent le feu vert de Paul Kagame pour s’inviter en RDC… si ce n’est déjà fait. Une gracieuseté signée Félix Tshisekedi, représentant spécial du Rwanda en RDC et président de la République à ses temps perdus…
Patrick Mbeko
Spécialiste de l’Afrique centrale
Auteur de plusieurs ouvrages sur les conflits armés en Afrique