Les noirs du Yemen, les marginalisés, les intouchables du Yemen

Ils se disent eux-mêmes «Muhammasheen» ou «les marginalisés», un groupe ethnique noir qui, depuis des siècles, se retrouve au plus bat de l’échelle sociale du Yémen, confronté à la discrimination et au racisme, et méprisé par les autres groupes. Ils vivent dans des taudis à la périphérie des villes, se voient souvent refuser l’école et occupent des emplois de servitude comme cireurs de chaussures ou le nettoyage des rues ou s’adonnent à la mendicité. Les yéménites les surnomment les «Akhdam» ou «serviteurs».

Dans un pays où l’appartenance à une tribu est essentielle pour garantir la protection, le statut et les moyens de subsistance, leur communauté, qui, selon certaines estimations, compte près de 3 millions de personnes est dépourvue de tribu et est laissé pour compte par le gouvernement. En conséquence, ils ont été particulièrement touchés par la guerre civile au Yémen, qui oppose le gouvernement, soutenu par une coalition dirigée par l’Arabie saoudite, contre les rebelles chiites connus sous le nom de Houthis et les forces loyales au président déchu du Yémen.

Leurs voisinages ont été pilonnés à la fois par les attaques aériennes de la coalition et les bombardements des Houthis, détruisant leurs maisons de fortune bricolées avec des pavées de feuilles de métal, de carton et de couvertures. Beaucoup sont dans un état de déplacement constant, sans personne pour les aider. Certains disent fuir un conflit d’un côté, mais seulement sont frappés par d’autres des nombreuses factions et combattants dans le conflit. Les groupes yéménites distribuant de l’aide humanitaire refusent de leurs en donner.


Environ 9 000 personnes ont été tuées au cours de la dernière année de combat au Yémen et plus de 2,4 millions ont été chassées de leurs foyers. Le nombre de morts parmi les “marginaux” est difficile à vérifier parce que personne ne se préoccupe de leur sort. L’Organisation yéménite contre la discrimination, annonce avoir recensé plus de 300 morts, dont 68 enfants et 56 femmes. Yahia Said, le chef de l’organisation, pense que le nombre réel est probablement beaucoup plus élevé.

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Les origines des Muhammasheen ne sont pas claires. Selon la tradition populaire, ils seraient les descendants de soldats éthiopiens qui auraient envahi le Yémen au VIe siècle. D’autres théories suggèrent que c’est des peuples africains qui ont été parmi les premiers à habiter les villes côtières au Yémen, donc les autochtones du pays.

Les statistiques officielles du gouvernement chiffrent leur nombre à environ 500 000 personnes, mais les activistes marginalisés avancent le nombre 3 millions. Selon l’UNICEF, ils représentent environ 10% de la population, soit 2,6 millions d’habitants. Pendant des générations, ils ont été traités comme une sous-classe permanente. Les Yéménites les appellent les impurs, et interdisent leurs enfants de se mêler à eux. Un célèbres proverbe yéménites conseille de «nettoyez son assiette si elle est touchée par un chien, mais de la brisée si elle est touchée par un Khadem».

Les activistes disent que les écoles et les hôpitaux les refusent souvent. Ils se plaignent que les femmes de leur communauté sont vulnérables, et victimes d’abus sexuels par les autres groupes yéménites, qui sont convaincus que les tribunaux ne les poursuivront pas, ou que leurs tribus intimideront les marginaux en douce. En revanche, si un homme intouchable sympathise avec une femme extérieure à son groupe, toute sa communauté peut être chassée de leurs foyers en réprésaille. Les enfants des marginalisés qui défient la stigmatisation sociale et fréquentent les écoles sont souvent harcelés par les enseignants et les camarades. On leur reprochent d’être les descendants de ceux qui ont essayé de détruire la Kaaba, le site le plus saint de l’islam, situé à La Mecque. C’était une référence à un incident historique dans lequel un roi éthiopien chrétien du Yémen aurait envoyé une armée avec des éléphants pour détruire la Kaaba.

(121202) — SANAA, Dec. 2, 2012 (Xinhua) — Yemeni boys of the Akhdam community look on in a slum area on the outskirts of Sanaa, Yemen, on Dec. 2, 2012. The Akhdam, a social group in Yemen, is set apart by their African features. Most of them live in slums on the outskirts of Yemen’s main cities. (Xinhua/Mohammed Mohammed)

Saleh al-Bair a étudié les sciences politiques à les universités en Union soviétique à Cuba dans les années 1990, l’un des rares marginalisés à avoir eu accès à l’éducation à l’étranger. Pourtant, il travaille maintenant comme un cireur de chaussures à Sanaa. Mais même avant la guerre, sa communauté n’avait aucun droit. «Si un noire est appelé devant les tribunaux, le juge ne le convoquera pas en utilisant son nom, mais utilisera le terme « serviteur » en s’adressant à lui. Quel genre de justice pourraient-ils après cela?

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En 2014, l’UNICEF a mené une enquête auprès de plus de 9 000 familles marginalisées dans la ville de Taiz, site d’une de leurs plus grandes communautés. Il a constaté des niveaux élevés de pauvreté et de faibles niveaux d’éducation, tous bien pires que les moyennes nationales. Seulement la moitié des enfants étaient à l’école, 80 pour cent des adultes et près de 52 pour cent des 10-14 ans étaient analphabètes. Plus de la moitié des enfants de moins d’un an n’avaient pas été vaccinés. Buthaina al-Iryani, spécialiste de la protection sociale de l’UNICEF, a déclaré que l’agence distribue de l’argent aux familles des marginalisés de Sanaa et de Taiz en raison de leurs besoins urgents. Mais elle a reconnu, “C’est une goutte dans l’océan.”

Plus que jamais, la mendicité est devenue leur seule source de revenus. Des enfants pieds nus avec des cheveux enchevêtrés, des visages couverts de poussière, dorment dans les rues tandis que leurs mères enveloppées de noir étendent leurs mains vers les piétons, mendiant de l’argent. La situation humanitaire est misérable, a déclaré Noaman al-Houzifi, le chef de l’Union nationale des marginalisés. Tandis que d’autres ont des tribus ou des parents riches pour les aider ou les accueillir s’ils doivent fuir leurs maisons, «mais les marginalisés, eux n’ont rien».

Lui et d’autres activistes marginalisés disent que les opérateurs locaux qui distribuent de l’aide humanitaire les transmettent pas.

“Même les couvertures distribuées par et les groupes de secours, sont refusées aux marginalisés, a déclaré Misk al-Maqmari, un activiste “marginalisé” âgé de 25 ans dirigeant un groupe local.

Dans les hôpitaux, les blessés “marginalisés” dans les combats ne reçoivent souvent pas de lits ou de traitement et sont laissés avec leurs blessures jusqu’ a ce qu’ils meurent comme des animaux. Même les animaux ont des droits.

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Reconnaissables à leurs traits africains et les emplois qu’ils occupent notamment le nettoyage des rues et le mépris des autres tribus et sont tellement méprisés qu’ils sont parfois comparés par des anthropologistes à la caste des « intouchables » en Inde.

Des préjugés largement répandus placent les Akhdam au bas de l’échelle sociale sans spécifier ce qui les rend différents, si ce n’est leur couleur de peau et les tâches subalternes qu’ils réalisent. Jama Al-Obeidi, professeur de mathématiques au collège, réponds aux questions d’un journaliste.

« Je n’ai rien contre lui », dit-il, « Je lui parlerais dans la rue, je pourrais lui donner un peu d’argent, mais je ne l’inviterais pas chez moi. C’est un yéménite, mais il est également un Khadim (serviteur). Dieu a voulu qu’il en soit ainsi. »

Des mythes dégradants, transmis de génération en génération, ont aidé à renforcer cette façon de penser. De nombreux yéménites, à qui l’on demande les origines des Akhdam, disent qu’ils sont les descendants d’éthiopiens qui ont traversé la Mer Rouge pour conquérir le Yémen avant l’arrivée de l’Islam il y a un peu plus de 1400 ans, et que cela fait d’eux des étrangers dans leur propre pays.

Les principaux préjugés préjugés qui les stigmatisent est que les hommes sont fainéants et sans scrupules, incapables d’avoir un emploi respectable ; les femmes, elles sont sales et dévergondées, et prêtes à s’offrir à la générosité des autres, prétend la coutume populaire.

La révolution de 1962 au Yémen, qui a mis fin à 1000 ans de principauté islamique et de mettre en place une république basée sur l’égalité entre les citoyens, et a officiellement aboli les anciens statuts, sauf pour les Akhdam ont gardé le leur.

Travaillant comme domestiques de maisons, nettoyeurs de sanitaires dans les mosquées, et plus récemment, collectant les ordures du pays, les Akhdam, dont la plupart vivent dans de fétides bidonvilles dans les banlieues de la capitale, sont tous invisibles pour la plupart des yéménites.

Publié par Reuters