Le 23 décembre 2020, le Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo a rendu son rapport de mi-parcours. Celui-ci pointe du doigt les Forces de Défense rwandaises (RDF) pour leur présence illégale sur le sol Congolais. Le rapport du Groupe d’experts souligne que l’ensemble des activités des Forces de Défense Rwandaises en République Démocratique Congo « sans notification au Comité de sanction » mise en place par l’ONU « constituent une violation du régime de sanctions. »
Qu’est-ce le rapport du Groupe d’experts de l’ONU ?
Le Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo est une équipe composé de six experts travaillant chacun dans son pays. Créé par la résolution 1533 (2004), le Groupe d’experts a été chargé par le Secrétaire général de contrôler la mise en œuvre du régime des sanctions, en particulier dans le Nord et le Sud-Kivu et en Ituri. Pour ce faire, celui-ci réalise des enquêtes minutieuse sur le terrain, interroge les différentes parties prenantes et a accès à différents renseignements des pays membres de l’ONU. Le Groupe produit chaque année deux rapports sur la situation sécuritaire en RDC. Un premier aux alentours de décembre qui constitue le rapport de mi-mandat et un second aux alentours de juin qui constitue le rapport final.
Le Groupe d’experts a la charge de seconder le Comité des sanctions du Conseil de sécurité mis en place lui aussi par la résolution 1533 (2004) concernant la République démocratique du Congo. C’est un organe composé de 15 pays membres ayant la charge de surveiller l’application des mesures de sanctions imposées par le Conseil de sécurité.
Le rapport détaille la présence des troupes rwandaises au Nord-Kivu
Dans son préambule, le rapport explique qu’au cours de la période considérée, c’est-à-dire entre juin et novembre 2020, la situation en matière de sécurité dans l’Est de la République démocratique du Congo a été marquée par des épisodes localisés de grande violence.
L’État rwandais serait un des acteur de ce contexte d’insécurité. En effet, le rapport souligne que suite à l’analyse d’un grand nombre de preuves, le Groupe est parvenu à la conclusion que les Forces de Défense Rwandaises ont été présentes sur le territoire congolais entre fin 2019 et octobre 2020.
Plusieurs éléments de preuves sont avancés. Parmi ces éléments, figurent les témoignages déjà relatés sur Jambonews en mai 2020 de deux jeunes anciens soldats des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), qui ont été rapatriés le 2 février 2019, puis ramenés en RDC par les militaires rwandais pour servir de guide.
Une autre preuve avancée par le Groupe d’experts dans son rapport est une photographie prise vers mai 2020 montrant une personne identifiée comme étant le colonel Claude Rusimbi des FARDC avec 13 membres des RDF, dont le Capitaine Gasasira, un ancien des FDLR, rentré au Rwanda en 2009 et qui a été enrôlé par les RDF pour retourner au Congo cette fois sous pavillon des forces gouvernementales rwandaises. Ces photographies avaient déjà été diffusés en exclusivité sur Jambonews en mai dernier.
Selon le rapport, le Colonel Rusimbi agissait sur instruction de General Gahizi afin d’assurer la liaison entre les FARDC et l’unité des RDF chargée des opérations en République démocratique du Congo, selon un officier des FARDC, des chercheurs et des sources militaires, de sécurité, et issues de la MONUSCO et de la société civile.
Le rapport relate notamment que Le 2 octobre 2020, 60 membres des RDF portant 18 mitrailleuses PKM et quatre lance-roquettes ont été observés sur le mont Rugomba, dans le territoire de Rutshuru. Ces soldats de l’armé rwandaise « sont entrés sur le territoire de la République démocratique du Congo autour de Kabara » affirme sans équivoque le Groupe d’experts de l’ONU. C’est un village frontalier avec le district de Rubavu au Rwanda.
Selon le rapport d’avril 2020 de Kivu Security Tracker, une plateforme conjointe menée par l’Université de New-York et le Congo Research Group, chargé de monitorer et cartographier les violences à l’Est de la RDC, la grande offensive qui a été déclenchée par des éléments de l’armée congolaise en collaboration clandestine avec l’armée rwandaise à partir du 13 avril 2020 dans le groupement de Tongo a abouti à des destructions de propriétés (105 maisons dans les villages de Marangara, Kanyeru et Kazaroho le 13 avril) et fait 6 victimes civiles. Jambonews avait pu recueillir en avril dernier les témoignages de réfugiés rwandais rescapés de ces attaques.
La présence sur le territoire congolais de troupes rwandaises a été plusieurs fois niée par les autorités congolaises malgré les nombreuses alertes des sociétés civiles congolaises et rwandaises. Le rapport révèle que pour la première fois cette présence a été officiellement reconnue par les autorités congolaises. En effet, dans une lettre datée du 22 avril 2020, le chef d’état-major des FARDC a dénoncé la présence de membres des RDF en République démocratique du Congo au commandant du Mécanisme conjoint de vérification élargi de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL). La lettre faisait référence à une violation de la frontière entre le Rwanda et la République démocratique du Congo par des membres des RDF qui avaient installé un camp à Kabara, dans le territoire du Nyiragongo (province du Nord-Kivu) au début du mois d’avril 2020.
Quid de la présence des troupes rwandaises au Sud-Kivu ?
Lors d’une conférence de presse en ligne tenue le 27 avril 2020, évoquant la province du Sud-Kivu, à l’Est de la RDC, Paul Kagame a fait savoir qu’ »il n’y a aucun soldat des RDF dans cette partie du monde« .
Pourtant selon les informations du Kivu Security Tracker (KST), cette affirmation ne serait pas conforme à la réalité. En effet, selon des témoignages recueillis par KST, durant le conflit déclenché fin novembre par l’armée congolaise pour, officiellement, déloger la rébellion rwandaise du Conseil National pour le Renouveau et la Démocratie (CNRD) du territoire de Kalehe, il y aurait eu le concours direct de l’armée rwandaise. Selon de nombreuses sources locales contactées par KST, la présence de soldats du gouvernement rwandais sous uniforme congolais a été clairement établie ce qui aurait conduit de nombreux habitants effrayés a déserté les villages de Kigogo et Kasika. Selon une source diplomatique occidentale contacté par KST, deux bataillons de l’armée rwandaise étaient présents « sur la ligne de front » pendant les combats.
Dans une enquête de Sonia Rolley, journaliste experte de la région des Grands Lacs, pour RFI, un témoin des faits a affirmé que les soldats rwandais « portaient les mêmes uniformes que l’armée congolaise, jusqu’aux insignes, mais ils avaient les ponchos et même les armes de l’armée rwandaise. »
Ce témoin a même pu identifier deux éléments parmi le contingent rwandais dont le Général Côme Semugeshi. « Ils ont longtemps évolué au Congo avant de rentrer dans l’armée rwandaise » précise le témoin. En effet, cet ancien gendarme faisait partie du CNRD, avant de se rendre à la Monusco et d’être rapatrié au Rwanda en 2017. Ce retour avait excédé plusieurs organisations de la société civile du Nord-Kivu persuadées qu’il avait participé à des massacres de civils, notamment celui de Busurungi en 2009. Arrivé au Rwanda, il avait été pourtant mis en avant pour démontrer l’efficacité du programme de démobilisation et réinsertion du Rwanda et de la MONUSCO. Selon nos information l’autre ancien officier du CNRD recyclé par les RDF serait le Major Alex Nsengiyumva.
Selon divers sources, KST estime que plus d’une centaine de civils rwandais réfugiés auraient notamment été tués dans le seul groupement de Kalonge entre le 3 et le 7 décembre. Les corps seraient restés exposés plusieurs jours durant avant d’être enterrés par les habitants, notamment dans deux fosses communes de la localité de Bugaru.
Cependant, le dernier rapport du Groupe d’experts ne fait pas mention de cet épisode de décembre 2019 dans le Sud-Kivu où la présence de troupes rwandaises avait été établie par les acteurs cités ci-haut.
Exportation de matières premières et de minéraux
Le rapport a également pointé du doigt la complicité des autorités rwandaises dans le pillage illégal des ressources congolaises par les groupes armés actifs sur le territoire. Le Groupe d’experts a relaté un cas datant de janvier 2020, dans lequel Mines Propres SARL, une société d’exportation d’or établie à Bukavu, a transféré 11,071 kilogrammes d’or à Tasha Gold and Jewels Trading LLC à Dubaï (Émirats arabes unis) par un vol RwandAir. Selon un essayeur de Fizi, un chauffeur routier et un négociant proche de l’affaire, 6,5 kg de cet or ont été vendus par des représentants de Maï-Maï Yakutumba, un groupe armé congolais très violent.
Le Rwanda a, à plusieurs reprises été accusé de maquiller ses chiffres d’exportation. Dans le rapport 2019, le Groupe d’expertsexpliquait l’incohérence des chiffres d’exportation rwandaise d’or. En 2018, le Rwanda a déclaré des exportations totales d’or équivalent à 2163 kg vers les Émirats Arabes u-Unis. Tandis que les Émirats Arabes Unis ont eux déclaré officiellement avoir importé pas moins de 12539 kg du Rwanda au cours des neuf premiers mois de 2018.
Dans son dernier rapport annuel, la Banque Central Rwandaise a annoncé que les exportations d’or du Rwanda avaient augmenté de 754,6%. Un chiffre extraordinaire pour un pays dont les réserves d’or sont connues pour leur insignifiance.
Le rapport a également mis en lumière la collaboration clandestine entre les autorités rwandaises et le NDC-Rénové, le principal groupe rebelle congolais à l’Est de la RDC. Selon celui-ci, en mai et juin 2020, des combattants armés du NDC-R ont taxé des mines de coltan et de cassitérite à Kibanda, Rubonga et Maboa, qui étaient classées comme exemptes de tout contrôle armé selon les listes du Gouvernement. Le tantale non étiqueté extrait de ces sites a été introduit clandestinement à Goma au travers d’itinéraires qui avaient déjà été détaillés dans le précédent rapport établi par le Groupe d’experts pour ensuite être acheminé au Rwanda.
Des sanction à venir ?
L’une des mesures entreprises par le Conseil de sécurité en République Démocratique du Congo est l’embargo sur les armes. Selon celle-ci, détaillée par la résolution 1533 (2004) et surtout la résolution 1807(2008) [prorogée par les résolutions 2293 (2016)et 2528 (2020)] il est imposé à tous les États de notifier au Comité des Sanction “ tout envoi d’armes ou de matériel connexe en République démocratique du Congo et toute fourniture d’assistance ou de services de conseil ou de formation ayant un rapport avec la conduite d’activités militaires dans le pays”.
A ce sujet, le rapport du Groupe d’expert de l’ONU est très clair : « le soutien offert par des membres de la RDF et la participation active de ceux-ci à des opérations militaires contre des groupes armés en République démocratique du Congo sans notification au Comité, conformément aux dispositions du paragraphe 5 de la résolution 1807 (2008), reconduites par le paragraphe 1 de la résolution 2293 (2016) et le paragraphe 1 de la résolution 2528 (2020), constituent une violation du régime de sanctions. »
Violation de la charte des Nations Unies et de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba
Le Rwanda a souvent justifié sa présence en RDC par le fait que les attaques contre le Rwanda par des groupes armés à partir de la RDC lui donnaient son droit naturel de légitime défense tel que rappelé par l’article 51 de la Charte de l’ONU en ces termes “Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée”. Cependant, ce même article dispose que: “Les mesures prises par des Membres dans l’exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité”. Étant donné le caractère clandestin de la présence des troupes rwandaises, il est évident qu’aucune notification n’a été donnée au Conseil de Sécurité.
La présence clandestine de l’armée rwandaise est également une violation de la non-ingérence et de la souveraineté de la RDC telles que stipulées par l’Accord-cadre d’Addis-Abeba pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo et la région.
Les forces rwandaise ont elles quitté le Nord-Kivu ?
Alors que le rapport du Groupe d’experts avait déjà été finalisé. La société civile « forces vives de Nyiragongo » a alerté à nouveau sur la présence des militaires de l’armée rwandaise sur le sol congolais à partir de début décembre 2020.
« Nous vous annonçons que cela s’observe depuis maintenant deux semaines, nous ne savons pas ce qui se passe exactement. Nous avons alerté plusieurs fois les autorités mais jusque-là rien n’a été fait pour empêcher ces entrées », a declaré Érick Ndacho Kitalyaboshi de la société civile de Nyiragongo.
Selon celle-ci, les militaires rwandais auraient érigé une base militaire sur le sol congolais à partir du groupement Kibumba en territoire de Nyiragongo au Nord-Kivu dans un endroit appelé Kabara vers la frontière congolo- rwandaise.
D’autres informations qui nous sont parvenues de réfugiés rwandais dans le Nord-Kivu faisaient état de trois campements du côté de Kabara, sur Kilimanyoka ainsi que Rubaya dans le Masisi.
Le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres, avait lancé un appel «à un cessez-le-feu immédiat, partout dans le monde» afin de préserver, face à la «furie» du Covid-19, les civils les plus vulnérables dans les pays en conflits. Alors que les armes se sont tues un peu partout dans le monde entier, c’est cette période qu’a choisi le Gouvernement rwandais pour intensifier ses opérations militaires à l’Est de la RDC.
En mai 2020, à l’initiative de Jambo ASBL et des FDU-Inkingi, la plateforme Rwanda Bridge Builders réunissant une trentaine d’organisations politiques et de la société civile rwandaise avait envoyé un courrier à tous les membres du Conseil de sécurité de l’ONU pour réclamer des sanctions contre l’État rwandais en raison des opérations illégales des RDF à l’encontre des réfugiés rwandais à l’Est de la RDC.
Le rapport a été communiqué le 23 novembre 2020 au Comité́ du Conseil du conseil de sécurité concernant la République démocratique du Congo, qui l’a examiné́ le 3 décembre 2020. La balle est désormais dans le camp du Comité de sanctions et du Conseil de sécurité de l’ONU. Qui vont devoir trancher à partir de l’ensemble des preuves avancées par le Groupe d’experts pour décider des éventuelles sanctions à imputer au régime rwandais.
Norman Ishimwe
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