Le paradoxe rwandais: Entre modernité économique et terreur politique

Le Rwanda, qui prendra la présidence tournante de l’Union Africaine en janvier 2018, suscite l’émulation parmi la jeunesse d’Afrique qui salue notamment l’impertinence de Paul Kagamé vis-à-vis de la France qu’il accuse d’avoir été complice du génocide de 1994. 23 ans après le génocide, le Rwanda a réussi à se relever et mène des politiques ambitieuses en faveur d’une économie libérale et tertiaire, un environnement économique attrayant pour les investisseurs et les coopérations bilatérales et multilatérales sud/sud. Cependant derrière ces ambitions ; le Rwanda demeure un pays où le débat citoyen et politique n’existe pas ; et ceux qui s’y engagent subissent une répression féroce et sont parfois forcés à l’exil. Avancées présentes et ambitions futures régis par une terreur politique présente influencée par les tragédies du passé : C’est bien là où réside un des paradoxes rwandais.

Le visiteur qui débarque pour la première fois à l’aéroport international de Kigali, est d’abord frappé par l’ordre et le calme qui y règne. Les officiers de l’immigration rappellent aux visiteurs que l’introduction des sacs plastiques sur le territoire rwandais est formellement interdite. En effet depuis 2008 ; le Rwanda a été pionnier en Afrique en adoptant une loi éradiquant complètement l’usage des sacs plastiques. Autre « surprise » qui attire le visiteur : les nombreux panneaux bordant les rues de Kigali sur lesquels il est rappelé que « la corruption est formellement interdite » ; Le visiteur sera aussi charmé par le concept des travaux communautaires (plantations d’arbres, amélioration du circuit de l’eau de pluie, nettoyage des canalisations…) auxquels chaque rwandais âgé de plus de 16 ans doit participer. « Le style rwandais est bien différent de ce qu’on a l’habitude de voir dans d’autres pays africains » me disait un jour un ami franco-ivoirien.

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Sur le plan économique, le Rwanda affiche une politique sans ambiguïtés et marquée par la volonté de modernisation du secteur agricole par l’introduction des coopératives et la régionalisation des cultures, la transition vers une économie de service basée  notamment sur l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication et le développement du tourisme d’affaire (inauguration d’un flambant neuf Convention Centre, investissement gouvernemental massif dans la compagnie Rwandair, construction d’un nouvel aéroport fin 2018 etc…). En 2017 Kigali a accueilli la conférence « Transform Africa » dont l’objectif était de mettre en évidence le lien entre la transformation digitale et le développement de l’Afrique. Les rwandais ont désormais la possibilité de réaliser leurs démarches administratives en ligne par l’intermédiaire de la plateforme IREMBO. Les autorités ambitionnent également de faire de la capitale rwandaise, une capitale totalement connectée à internet avec un accès gratuit au wifi dans les espaces publics, les transports, les restaurants et les hôtels. Le Rwanda qui est enclavé géographiquement et ne possède pas de matières premières a bâti une stratégie économique qui consiste à développer un environnement des affaires favorable aux investisseurs.

Cependant, en allant au-delà des ambitions d’émergence présentées par les autorités ; on découvre qu’au Rwanda il n’est pas aisé de critiquer ou simplement de parler même au coin d’un bar ou restaurant de la « chose » politique. Le visiteur qui à tout hasard lors de son voyage de découverte au Pays des mille collines tentera de questionner les autochtones sur les orientations politiques, le parti au pouvoir ou le président, risque fortement d’essuyer un droit de non réponse. En effet, au Rwanda, il n’est pas aisé de parler politique surtout dans les espaces publiques où l’auto contrôle est de rigueur.

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A Kigali, on parle aisément d’économie mais très difficilement de politique ou de questions sociales moins reluisantes car les conséquences peuvent être très lourdes pour ceux qui peuvent être considérés comme des opposants au régime actuel donc comme des « ennemis de la nation ». Chacun s’auto censure, même au sein de cercles restreints (amical ou familial) par peur que ses propos ne puissent pas être mal interprétés et surtout rapportés.

Récemment, l’arrestation de Diane Shima Rwigara, fille de l’ancien homme d’affaire Assinapol Rwigara, rescapée du génocide est l’exemple de la terreur politique qui prévaut au Rwanda. Lors des récentes élections présidentielles, elle s’était présentée comme adversaire au président sortant Paul Kagamé ; elle a souvent critiqué le régime de Kigali d’utiliser les disparitions forcées ; les assassinats, les détentions illégales pour menacer les dissidents et opposants. Début octobre, L’Organisation non gouvernementale Human Rights Watch a publié un rapport qui montre que l’armée rwandaise arrête illégalement et torture des détenus, en recourant à des passages à tabac, des asphyxies et que ces centres de détention militaires non officiels existent tels que le camp militaire de Kami. Avant son arrestation, Diane Rwigara déclarait lors d’une interview accordée à la chaine de télévision française France 24 que « les rwandais préfèrent le silence car quiconque ose parler en paye un lourd tribut. On ne devrait pas laisser un Etat censé nous protéger nous abuser. Ma famille a échappé au génocide des Tutsis. Nous n’avons pas échappé au génocide pour souffrir au mains du FPR ».

Au Rwanda, oser critiquer ouvertement le Front Patriotique Rwandais (parti au pouvoir), le gouvernement, ou le Président, entraîne des conséquences lourdes au niveau individuel que collectif. La personne qui s’y lance risque fortement d’être considérée comme dissidente ou opposante risque des harcèlements de la police, la perte du travail, l’expropriation économique (exemple : Confiscation par l’Etat rwandais et vente aux enchères du centre commercial UTC appartenant à l’homme d’affaire Tribert Rujugiro ancien financier du FPR et aujourd’hui en exil) ; menace physique, séquestration, diffamation, menace judiciaire.

Diane Rwigara

Diane Rwigara

Particulièrement la menace judiciaire est une menace sérieuse car au Rwanda ceux qui sont considérés comme dissidents ou opposants font généralement l’objet d’accusations graves (insurrections, conspiration contre l’Etat, minimisation du génocide, incitation à la désobéissance civile, atteinte à la sûreté de l’Etat). De nombreux opposants rwandais connus médiatiquement tels Victoire Ingabire, Déo Mushayidi, Bernard Ntaganda, Diane Rwigara et de milliers d’opposants moins connus ont fait l’objet de telles accusations par le procureur général. Les peines encourues sont lourdes ; en général entre 10 et 15 ans de prison.

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La terreur politique qui règne au Rwanda rappelle celle qu’a connu l’Argentine dans les années 80 ; par les méthodes utilisées et notamment les disparitions forcées d’opposants. Cette terreur basée sur des mesures judiciaires extrêmes vise à créer une peur collective afin de briser toute forme de dissidence perçue comme un danger par le pouvoir et contrôler la population qui devient moins critique et moins exigeante envers ses dirigeants politiques. Restreindre les libertés individuelles fondamentales tout en se targuant de moderniser l’économie et ambitionné d’attirer les visiteurs-investisseurs du monde entier, est sans aucun doute paradoxal.

Marie Umukunzi

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