D’origine rwandaise, Hervé Berville, qui a survécu au génocide des Tutsis, a grandi dans les Côtes-d’Armor, département dont il est maintenant député En Marche. Envoyé spécial par le président de la République au Rwanda, il est aujourd’hui porte-parole du groupe parlementaire LREM à l’Assemblée nationale.
Comment avez-vous été évacué du Rwanda par l’armée française lors de l’opération « Turquoise » ?
J’ai eu beaucoup de chance car j’ai été évacué dans les premiers jours du génocide des Tutsis (NDLR : le génocide a commencé en 1994, lorsque le président Hutu Juvenal Habyarimana est mort dans son avion, d’un attentat). Alors que j’étais dans un orphelinat à Kigali (capitale rwandaise), l’armée française nous a transférés à Paris puis en Bretagne à Trévou-Tréguignec (22). J’ai été adopté par une famille bretonne qui avait déjà quatre enfants.
Un nouvel ouvrage vient contrer la doxa majoritaire sur le génocide rwandais. La journaliste anglo-saxonne Judi River affirme que le front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame, aujourd’hui président du Rwanda, est responsable de la purification ethnique opérée par les extrémistes hutu contre les Tutsis suite à la manipulation qui aurait permis à ces derniers de reprendre le pouvoir à Kigali. Qu’en pensez-vous ?
Même s’il y a eu beaucoup d’enquêtes et de livres sur la question, je le dis très clairement : le génocide a été perpétré contre les Tutsis et dire le contraire relève d’une contre-vérité. Ils représentent la plupart des victimes, environ 800 000 personnes. Ce génocide venait de loin : à titre d’exemple, ma mère n’avait pas pu aller à l’école dans sa jeunesse parce qu’elle était Tutsi. L’Onu alertait déjà l’opinion publique au début des années 1990, avec des preuves édifiantes attestant de la préparation de ce génocide. Ce fut l’aboutissement de trente ans de discriminations systématiques. « Jour et nuit, il faut tuer le cafard », entendait-on à la radio des Milles Collines. Au mémorial du génocide, on se rend d’ailleurs compte de l’horreur et de la planification mises en œuvre par le gouvernement rwandais de l’époque.
Le recul de la présence française en Afrique est-il inévitable ?
Je ne vois pas l’Afrique comme un terrain de jeu et il faut vraiment sortir de cette notion de chasse gardée. Je ne pense pas que le recul de la France soit inévitable mais les liens que l’on tisse avec les pays africains ne peuvent plus se faire de la même manière qu’il y a trente ou quarante ans et doivent être uniques à chaque pays. Aujourd’hui, il y a une multitude de pays non francophones qui veulent nouer de nouvelles relations avec nous. Par exemple, lors d’un déplacement en Éthiopie, certains parlementaires me disaient vouloir diversifier leur coopération économique et scientifique pour sortir de la dépendance avec la Chine. J’ai envie que l’on porte plus haut notre coopération avec l’Afrique et que nous sortions définitivement de l’aide au développement pour aller vers de véritables partenariats.
Sommes-nous mécaniquement devancés par la Chine, qui est moins regardante sur les droits de l’Homme et financièrement généreuse ?
Il faut être clair sur nos pratiques et sur ce que nous voulons. Contrairement au régime chinois, nous ne voulons pas enfermer les économies africaines dans un cercle vicieux d’endettement au détriment des populations et qui aboutit souvent à l’accaparement de matières premières. Nous Européens, nous souhaitons des partenariats au sein desquels les gouvernements se donnent des exigences mutuelles, sans dettes cachées et travail contraire aux droits de l’Homme. Quand on voit ce qui se passe au Sri Lanka ou en Éthiopie sous la pression du régime chinois, cela ne donne pas envie. Selon moi, nous devons faire du respect des droits humains une valeur cardinale de notre politique et nous devons développer des relations de respect mutuel.
Il y a eu de nombreux plans sociaux en Bretagne, notamment Nokia dans votre département. Comment y réagissez-vous ?
L’affaire Nokia est une trahison. Au premier petit coup de vent, ils ont voulu revenir sur leurs engagements. Depuis, beaucoup d’efforts ont été faits pour sauver le maximum d’emplois mais on ne doit rien lâcher et il faut continuer de se battre pour les salariés et le territoire. La France a abandonné sa souveraineté économique et industrielle depuis trente ans et elle doit la retrouver. Avec le gouvernement, nous voulons renforcer cette souveraineté, c’est ce que nous faisons à travers le plan de relance sur le territoire et l’investissement dans de nouveaux outils industriels et technologiques. Pour réussir, le plan de relance breton doit être nécessairement aligné sur le plan de relance français et européen. Il doit permettre de construire une Bretagne conquérante et de financer des projets de proximité et de la vie quotidienne. Depuis trois ans, nous avons voté à ce titre plus de 7 milliards d’euros pour la rénovation des centres-villes et des centres-bourgs afin d’avoir une véritable politique d’aménagement du territoire. Aujourd’hui, trop de choses sont aspirées par la métropole rennaise et on doit redonner toute leur place aux villes de taille moyenne en réinvestissement, par exemple, dans les petites lignes ferroviaires. En effet, c’est en améliorant l’offre de train du quotidien que se créera une demande pour ce type de déplacement et que l’on donnera une alternative aux gens.
Avec la grogne des commerçants qui monte, avec ce nouveau confinement, on a l’impression d’un État incapable de prévoir et qui navigue à vue.
Partout en Europe, il y a eu une accélération brutale du virus et, depuis le début de la crise, on fait en sorte d’avoir des politiques qui anticipent au maximum et qui accompagnent tous les secteurs touchés. Je tiens à rappeler que nous sommes le pays qui a le plus soutenu le tissu économique et même si tout n’est pas parfait, cela a permis d’éviter des défaillances en cascade. Mais j’entends parfaitement l’exaspération voire la colère des commerçants qui, à juste titre, ne sont en rien responsables de ce virus. Notre priorité, c’est de freiner rapidement sa propagation et c’est pourquoi le gouvernement a mis en place ces mesures que je sais très dures pour nos commerçants.
En plus de la covid-19, nous devons affronter le terrorisme islamiste. L’État a-t-il pris des mesures suffisantes au plan sécuritaire ?
Nous devons rester unis et ne rien céder aux terroristes. L’État de droit peut et doit s’adapter pour avoir de nouveaux outils législatifs et permettre, par exemple, de dissoudre certaines associations islamistes. Quant à la réponse pénale, elle se doit d’être dure, à la hauteur, et ferme. Le discours prononcé par le Président aux Mureaux a permis de fixer le cap. Ensuite, à nous parlementaires d’amender le projet de loi contre les séparatismes pour le faire évoluer et faire en sorte qu’il réponde aux enjeux concrets de la menace terroriste.
Un article du Télégramme du 22 Novembre !
Publié le 21 novembre 2020 à 20h27