Guerres du Congo : après 27 ans de crimes, l’indispensable lutte contre l’impunité en RDC. Depuis plus de 25 ans, la République démocratique du Congo (RDC) est éprouvée par les guerres et les violences meurtrières dans l’Est. Malgré les témoignages et les rapports sur les massacres perpétrés, notamment pendant les guerres des années 1990, aucun protagoniste n’a été jugé. Faut-il créer un tribunal pénal international pour la RDC pour en finir avec l’impunité ?
Justice sera-t-elle un jour rendu pour les crimes commis en République démocratique du Congo (RDC) depuis les années 1990 ? Depuis plus de deux décennies, de multiples voix s’élèvent pour réclamer la formation d’un tribunal pénal international (TPI), à même de poursuivre les protagonistes des massacres.
Dernier exemple en date, l’appel en ce sens, le 10 septembre, du docteur Denis Mukwege, « pour mettre fin à la culture de l’impunité qui alimente les conflits dans notre pays depuis les années 1990. »
Une requête intervenue avant l’ouverture de la 76ème session de l’Assemblée générale des Nations unies, le 14 septembre. La résolution 58/316, adoptée le 13 juillet 2014, relative, entre autres, à l’« agression armée contre la République démocratique du Congo », figure à l’ordre du jour provisoire au point 45.
M. Mukwege estime que « face à l’échec des solutions politiques et sécuritaires, nous sommes convaincus que le chemin de paix durable passera par le recours à tous les mécanismes de la justice transitionnelle. »
Pour le prix Nobel de la paix 2018, la pacification passe par une enquête pour « exhumer les nombreuses fosses communes dans l’Est du pays et collecter et préserver les éléments de preuves d’actes susceptibles de constituer des crimes de guerre, des crimes contre l’humanités et des crimes de génocide. »
Si l’utilisation du terme de « génocide » fait elle aussi débat, il est notamment employé par l’opposant et candidat à l’élection présidentielle congolaise en 2018, Martin Fayulu.
02 Août : Journée nationale de commémoration du génocide congolais.
“Il ne peut y avoir de véritable paix en #RDC sans la réparation de toutes les injustices.” – @MartinFayulu pic.twitter.com/kFfCgSl7GJ
— Presse Martin Fayulu (@PFayulu) August 2, 2021
En 2020, le président de la RDC, Félix Tshisekedi, avait, pour sa part, demandé des sanctions internationales contre les groupes armés qui sévissent dans l’est du pays, afin notamment d’“éradiquer leurs sources d’approvisionnement et d’appui”.
Cette année devant l’Assemblée générale des Nations unies, le chef de l’Etat a plaidé pour que “des sanctions sévères soient prises contre tous les réseaux mafieux” ou contre “les multinationales qui exploitent illégalement les minerais de mon pays et alimente en échange les groupes armés en armes et munitions, pérennisant ainsi le conflit en RDC et dans la région des lacs”.
Vide juridique
Depuis plus de 25 ans, l’Est de la RDC s’avère être le territoire le plus durement touché par les atrocités depuis la Seconde Guerre mondiale. Entre guerres, viols et famines, les victimes directes et indirectes sont innombrables.
Experts et historiens se livrent à une guerre des chiffres concernant le nombre de morts qui s’établit, selon les études, à entre plusieurs centaines de milliers et plusieurs millions de personnes. En 2008, l’International Rescue Committee (IRC), une organisation non gouvernementale américaine (ONG), tire un bilan de 5,4 millions de morts sur la période 1997-2008.
Ce vide caractérise l’impunité qui continue d’alimenter les cycles de violence actuels
Thomas Fessy, chercheur principal pour la RDC à Human Right Watch (HRW)
Le 1er octobre 2010, le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme publie le rapport Mapping, relatif aux violations les plus significatives des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 dans le pays. L’enquête répertorie 617 incidents parmi les plus graves commis sur l’ensemble du territoire congolais, dont la majorité relèveraient de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre.
(Re)voir : Rapport Mapping en RDC : quelle justice 10 ans après sa publication ?
« Le Dr Mukwege et bon nombre d’acteurs de la société civile congolaise et internationale s’appuient sur les recommandations de ce rapport en matière de justice internationale pour demander l’instauration d’un mécanisme judiciaire compétent pour enfin rendre justice aux victimes congolaises et à leurs familles, et que les responsables de ces crimes graves rendent des comptes, rappelle Thomas Fessy, chercheur principal pour la RDC au sein de l’organisation non gouvernementale (ONG), Human Right Watch (HRW). Il s’agit de répondre à un vide de justice. Ce vide caractérise l’impunité qui continue d’alimenter les cycles de violence actuels. »
Impuissance de l’armée et l’ONU
Depuis le mois de mai 2021, un « état de siège » est en vigueur au Kivu et en Ituri, régions où sévissent une centaine de groupes armés. Pas une semaine ne passe sans qu’une nouvelle tuerie soit recensée dans ces régions frontalières du Rwanda et de l’Ouganda.
L’armée congolaise, appuyée par des Casques bleus de la Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo (Monusco), ne parvient pas à endiguer le cycle de violences.
(Re)voir : RDC : offensive de l’armée contre les rebelles dans l’est du pays
Dans ces territoires, « les populations civiles vivent la peur au ventre de savoir quand et où sera la prochaine attaque. Le nombre de personnes déplacées est à un niveau record : 1,7 millions en Ituri et 1,8 millions au Nord Kivu, ainsi qu’un nombre considérable de personnes plongées dans l’une des crises alimentaires les plus graves au monde », précise celui qui a été correspondant au pays entre 2008 et 2010 pour la chaîne de télévision britannique BBC News.
Répercussions du génocide rwandais
Il faut remonter 27 ans en arrière pour identifier les racines de l’instabilité meurtrière en RDC. A l’issue du génocide des Tutsi au Rwanda en juillet 1994, de nombreux Hutu, dont certains génocidaires, se réfugient au Zaïre voisin (ancienne dénomination de la RDC) et particulièrement au Kivu, dans la région des Grands Lacs. Ils s’unissent au sein des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).
(Re)voir : RDC : la société civile congolaise indignée des propos tenus par Paul Kagamé
Pris en tenaille par le Front patriotique rwandais (FPR) au pouvoir au Rwanda, majoritairement Tutsi, qui les prend en chasse, et la rébellion congolaise en lutte contre le président Mobutu, des centaines de milliers d’entre eux sont massacrés.
Non seulement ethnique, le conflit prend aussi une dimension économique. Riche d’importantes réserves de minerais dont le coltan, indispensable pour le fonctionnement des téléphones portables et des tablettes, le Kivu est convoité. Le trafic et ses corollaires, à savoir pillages et exécutions, se généralisent.
Les cycles de violence à l’est du pays reposent sur bien des facteurs qui méritent d’être pris en compte comme un ensemble
Thomas Fessy, chercheur principal pour la RDC à Human Right Watch (HRW)
Les guerres congolaises
Sept années durant (1996-2003), le pays éprouve deux guerres successives. En 1996, le vice-gouverneur du Sud-Kivu menace de mort les Rwandais du Kivu s’ils ne quittent pas le territoire.
Ces derniers s’unissent au sein l’Alliance des Forces démocratiques pour la libération du Zaïre (AFDL), appuyée par le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda. Elle participe à la chute du président Mobutu Sese Seko. Le président de l’AFDL, Laurent-Désiré Kabila, prend les rênes du pouvoir.
Sur son passage, l’AFDL assassine des milliers de Hutu. A tel point qu’en 1997, un rapport d’une mission conjointe de l’ONU qualifie les atrocités commises en ces termes : « ces crimes semblent revêtir un caractère suffisamment massif et systématique pour que la qualification de crimes contre l’humanité puisse leur être attribuée. »
En 1998, neuf pays africains sont engagés dans la seconde guerre congolaise, en plus d’une multitude de groupes armés. Le conflit s’achève formellement en 2003 et débouche sur la guerre du Kivu.
(Re)lire : RDC : à l’est, le Sud-Kivu peut-il basculer dans une violence incontrôlable ?
« Les cycles de violence à l’est du pays reposent sur bien des facteurs qui méritent d’être pris en compte comme un ensemble : les luttes de pouvoir communautaires, les conflits fonciers, l’accès aux ressources naturelles et les trafics qui en découlent, les soutiens de certains éléments de l’armée à tel ou tel groupe armée, et l’impunité criante », développe le spécialiste.
« La volonté politique a manqué »
Demande récurrente, la création d’un TPI bute jusqu’alors sur des considérations politiques. « La question avait fait du chemin en 2014 mais avait finalement achoppé, notamment pour des questions de souveraineté, souligne M. Fessy. La volonté politique a manqué toutes ces années dans la lutte contre l’impunité mais l’administration actuelle a promis d’en faire une priorité. Il est donc temps que le président Tshisekedi passe de la parole aux actes. »
Ces derniers mois, on entend souvent que la justice viendra après la paix. Mais il n’y aura pas de paix sans justice
Thomas Fessy, chercheur principal pour la RDC à Human Right Watch (HRW)
Selon M. Fessy, l’instauration d’une justice impartiale et efficiente à même de mettre fin à l’impunité constitue un préalable indispensable à la pacification du pays. « La lutte contre l’impunité est un élément essentiel pour remettre le Congo sur le chemin de la pacification et de la stabilité durable. Ces derniers mois, on entend souvent que la justice viendra après la paix. Mais il n’y aura pas de paix sans justice. »
Et le mécanisme judiciaire doit, selon lui, reposer sur une « stratégie holistique » pour rendre le processus de paix réellement effectif et entamer une nécessaire réconciliation. « Le gouvernement devrait notamment mettre en place un mécanisme d’assainissement des forces de sécurité pour identifier les responsables d’exactions et les poursuivre en justice. Et cela devrait aller de pair avec un programme fort de désarmement, de démobilisation et de réintégration des combattants d’une centaine de groupes armés qui sont toujours actifs dans l’est du pays. Là encore, ceux qui seraient responsables de crimes graves devraient être écartés et poursuivis sur la base d’enquêtes impartiales. Enfin, il faudra également un programme de réparations pour les victimes de tous ces crimes et leurs familles afin de les aider à reconstruire leur vie conformément au droit international. Un processus de réconciliation pourrait être mis sur pied. »