Arrestation de Félicien Kabuga. Historique d’un dossier judiciaire controversé

L’arrestation de Félicien Kabuga, le 16/5/2020 à Paris, a fait la Une de bon nombre de journaux du monde et la nouvelle est partagée abondamment sur les réseaux sociaux.

Mis en accusation il y a un quart de siècle, les charges qui pèsent sur Kabuga Félicien se sont peu à peu effondrés et le dossier judiciaire s’est dégonflé au vu des éléments nouveaux apparus au tout au long de ces 25 ans et qui permettent d’éclaircir certaines zones d’ombre du génocide rwandais.

Félicien Kabuga, un self-made-man devenu millionnaire

Né en 1932 en commune de Kiyombe, dans la préfecture de Byumba au Rwanda, M. Félicien Kabuga a débuté son commerce à l’âge de 18 ans, sans aucun capital et sans aucune formation. Il n’a fréquenté aucune école. Il a constitué son premier capital en vendant au marché local les corbeilles qu’il tissait lui-même. Ensuite, il s’est lancé dans le troc du sel  contre le café et les produits vivriers.

En 1956 il a obtenu son registre de commerce et a ouvert un magasin de commerce des biens de première nécessité notamment les outils agricoles. En 1959 il s’est marié avec Josephine Mukazitoni (+). Jusqu’en 1973, il est resté dans le centre de négoce de Rushaki proche de la frontière rwando-ougandaise, ce qui lui permettait d’étendre sa clientèle aux Ougandais frontaliers.

Ce n’est qu’en 1973, après déjà vingt années d’activités, qu’il s’est installé dans la capitale Kigali où il venait d’achever la construction d’une maison à deux niveaux qui lui servait à la fois de résidence et de lieu de travail. Il a poursuivi ses activités commerciales en achetant, sur place, à des grossistes, des produits importés qu’il revendait au détail.

Après avoir accumulé des fonds nécessaires et analysé le marché, il a décidé d’étendre son activité à l’importation. Il a commencé par la friperie (vêtements de seconde main) qu’il importait de Hollande (Simon Spayer), des Etats-Unis (Galaxy Ltd, United Ltd, Mara Ltd) et de Belgique (Mandere).

Au fur et à mesure de l’expansion de ses affaires, il a diversifié ses marchandises en important d’autres produits tels que des luminaires, des tôles, du lait en poudre, des appareils électroménagers, des outils agricoles, des produits alimentaires,…

Quelques années plus tard, il a investi dans d’autres secteurs tels que le transport, les plantations de thé, l’industrie, l’immobilier et les banques. Au 6 avril 1994, il possédait plusieurs biens et notamment:

– des dépôts de blé, de farine et de différentes marchandises de plusieurs millions de dollars
– une quarantaine de camions de transport international

– une plantation  de thé de plus de 350 hectares à Mulindi

– une minoterie d’une capacité de plus de 39.000 tonnes de blé par an dans la ville de Byumba

– plusieurs immeubles à Kigali dont un entrepôt de marchandises à Gikondo, des maisons d’habitation dans divers quartiers de la capitale et un complexe immobilier à Muhima qui devait comprendre un hôtel-restaurant, des bureaux, des espaces de location, un supermarché. L’immeuble était déjà équipé en bureaux, télévisions, lits etc.

Il détenait également des actions de plusieurs sociétés:

– la Banque Commerciale du Rwanda (BCR)

– la Banque Continentale Africaine du Rwanda (BACAR)

– la Rwandaise : Société rwando-européenne d’importation et d’entretien des véhicules de marque Mercedes, rebaptisée Akagera Motor par ceux qui se la sont appropriée

– la  Société de Transport International du Rwanda (STIR)

– la Radio-Télévision Libre des Mille Collines (RTLM).

Destruction, pillage et appropriation des biens meubles et immeubles de la famille Kabuga par le régime du FPR

A la reprise de la guerre, le 6 avril 1994, l’armée du Front Patriotique Rwandais (FPR) a démoli, à la dynamite, la résidence de la famille Kabuga qui était située dans le quartier de Remera. Après la prise du pouvoir par le FPR, ce dernier et son régime se sont livrés au pillage de ses biens et autres escroqueries. Il a vidé toutes les marchandises qui se trouvaient dans les entrepôts de Byumba, de Muhima et de Gikondo. Il a démonté les machines de la minoterie de Byumba et il les a vendues en Uganda après les avoir exploitées pendant au moins deux ans et après avoir épuisé les immenses stocks de blé évalués à 3.242.000 USD[1]. Finalement, l’Etat rwandais a décidé de vendre ce qui restait de la minoterie de Byumba à une entreprise kenyane Pembe Flours Mills Ltd.

Le reste des biens est exploité gratuitement par l’Eta rwandais et les dignitaires du FPR. Ainsi, les plantations de thé situées à Mulindi et à Nyange d’une superficie de plus de 350 hectares ainsi que les maisons d’habitation qui y sont construites sont exploitées pour le compte du ministère de la défense. Le complexe de Muhima de 120 chambres, 80 bureaux et d’autres locaux destinés à diverses activités commerciales et administratives abrite les services du FPR, du gouvernement et des institutions internationales. Ces dernières versent le loyer au FPR. Le  régime y loge aussi, gratuitement, des membres des dignitaires du FPR. A Remera et à Kimihurura, quartiers de la capitale, les maisons résidentielles de la famille sont occupées par des protégés du régime. Les entrepôts de Gikondo sont utilisés comme prison.

Les comptes bancaires n’ont pas été épargnés. Des dépôts équivalents à 400.000 Euros ont été subtilisés et pour rétablir l’équilibre comptable des institutions bancaires concernées, les comptes créditeurs de la famille ont été changés en comptes débiteurs, ce qui est un double vol. Quant aux actions dans diverses sociétés (BACAR, BCR, STIR, La RWANDAISE), elles se sont volatilisées et personne n’en parle.

Toutes les démarches que la famille a entreprises auprès des autorités rwandaises pour  récupérer ses biens se sont soldées par un échec. Elle a décidé d’envoyer au Rwanda le fils aîné de M. Kabuga, muni des procurations nécessaires, pour réclamer la restitution des biens. Il y a été reçu par l’ex-procureur général Gerald Gahima ainsi que par de nombreux autres fonctionnaires. Ses interlocuteurs lui ont exigé de reconnaitre, au préalable, que M. Félicien Kabuga a commis le crime de génocide, de renoncer à la réclamation des revenus passés et d’accepter les immeubles et les plantations de thé dans leur état actuel. La famille n’a évidemment pas souscrit à ce vicieux marchandage. Le représentant de la famille est rentré dans son pays d’asile sans avoir rien obtenu.

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Chemin de croix de M. Félicien Kabuga

A Naïrobi, au Kenya, M. Félicien Kabuga a échappé, en date du 29/12/1995, à un attentat dans lequel le jeune homme qui l’accompagnait a reçu 3 balles dans l’abdomen. Il est, sans nul doute, certain que le commanditaire de cette opération est le FPR comme dans les cas du colonel Théoneste Lizinde et du ministre Seth Sendashonga. Le mobile de cet attentat est que cette organisation politico-militaire qui a pris le pouvoir par la force le considérait comme un opposant politique susceptible de financer une opposition politique en raison de son patrimoine. En outre, le FPR craignait des poursuites judiciaires pour les massacres commis contre plusieurs membres de sa famille et de sa belle-famille. Certains ont été éliminés au Rwanda dans les communes de Kiyombe et de Mukarange ainsi que dans la préfecture de Kigali-ville avant et après la victoire du FPR. D’autres ont été liquidés lors des massacres de plus 300.000 réfugiés hutu perpétrés par le FPR en 1996-1997 dans les camps et dans les forêts de la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre).

En septembre 1999, le procureur du TPIR, Madame Carla del Ponte, a fait bloquer les comptes de toute la famille y compris ceux des enfants, sans qu’un jugement ait été prononcé sur ce blocage arbitraire décidé par le seul procureur.

Afin de vous permettre de bien saisir le caractère injuste de la décision du procureur du TPIR, Carla del Ponte, nous rappelons ci-après les éléments essentiels de ce dossier.

Le 30 septembre 1999, un mois après le lancement du mandat d’arrêt international contre M. Kabuga, le procureur du TPIR  envoie une demande d’entraide au ministre de la justice de la République Française pour faire bloquer les comptes de la famille Kabuga et faire saisir les documents y relatifs. En novembre de la même année, les autorités françaises apportent leur concours au procureur et se conforment à ses exigences. Le 22 mars 2000, l’avocat de la famille Kabuga demande au procureur de lever le blocage de ces comptes en lui prouvant, arguments à l’appui, le caractère inique de cette décision, en particulier en ce qui concerne le blocage des comptes des enfants et de l’épouse de M. Kabuga. Le 12 septembre 2000, le procureur informe le requérant, sans autre précision, que, sur la base du rapport interne réalisé par ses enquêteurs, il ne peut, pour l’instant, pas revoir sa décision.

Le 26 janvier 2001, l’avocat de la famille Kabuga présente une requête à Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs composant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda dans laquelle il requiert d’annuler la décision du Procureur et d’ordonner le déblocage des comptes. Le 8 février 2001, l’agent chargé de l’administration du tribunal, sur instruction de son Président, signifie au plaignant que sa requête ne peut pas être prise en considération car « il ne peut ester devant cette juridiction du TPIR ».

Le 15 mars 2001, l’avocat fait appel et adresse une requête à Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres de la chambre d’appel près la chambre d’appel dans laquelle il exige à nouveau d’annuler la décision du 12 septembre 2000 et de lever les mesures prises par les autorités françaises en exécution de la demande d’entraide du procureur du TPIR. Le 9 octobre 2002, le juge-président de la chambre d’appel charge une cour composée de 5 juges d’examiner ladite requête. La cour rejette l’appel parce que le plaignant ne serait pas habilité à recourir à la chambre d’appel mais considère que :

1° la famille Kabuga peut saisir à nouveau le procureur pour qu’il reconsidère sa décision du 12 septembre 2000.

2° le procureur a fait bloquer les comptes de la famille Kabuga  en vertu d’un règlement établi par les juges. Par conséquent les juges, à travers un mécanisme approprié de la chambre d’accusation, gardent la responsabilité de revoir une telle mesure en particulier lorsqu’un dommage est allégué par une personne qui n’est pas inculpée par le TPIR

3° la décision d’un organe non-judiciaire qui affecte la liberté des individus ou leur propriété doit être sujette à une révision judiciaire.

En définitive, la chambre d’appel estime que la famille Kabuga a le droit d’exiger un réexamen judiciaire de la décision du procureur du 12 septembre 2000 par la chambre d’accusation.

Le blocage des comptes n’est pas la seule injustice commise par le TPIR à l’égard de la famille Kabuga. Celle-ci a été soumise, au cours des années, à des perquisitions fréquentes et aux longs interrogatoires qui frisent la torture morale. Ces perquisitions ont été parfois menés par un certain Pierre Duclos, agent du TPIR et ex-policier de la Sûreté du Québec, célèbre pour ses méthodes d’intimidation. En effet, il a quitté ses fonctions de policier au Canada suite à une plainte disciplinaire pour parjure, fabrication de preuves et intimidation.

Lors de ces perquisitions, des documents importants (factures, extraits de comptes, diplômes, cassettes vidéo, ordinateurs, titres de propriétés etc.) ont été emportés par les policiers parfois sans les avoir préalablement consignés dans un procès-verbal.

Non-respect de la présomption d’innocence de M. Félicien Kabuga

Toute justice véritablement équitable doit respecter le principe de la présomption d’innocence or M. Félicien Kabuga n’a jamais bénéficié de la présomption d’innocence. Les médias, le TPIR, la justice rwandaise, certains pays, le traitent comme s’ils avaient la certitude de sa culpabilité. Ils ont tous, sans aucune vérification, pris pour argent comptant les fausses accusations de génocide que le régime de Kigali a porté contre lui.

De fait aucun des procureurs qui se sont succédés au TPR, n’a pu réunir de preuves matérielles ni de témoignages crédibles susceptibles d’appuyer les accusations portées à l’encontre de Félicien Kabuga. En tous cas, aucun n’en avait encore trouvés, le 24 juin 2005, comme l’ont fait remarquer les juges Dennis C.M. Byron, Florence Rita Arrey et Gberdao Gustave Kam[2].

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L’autre raison  avancée pour bloquer ses comptes et ceux de sa famille, à savoir que l’argent aurait été acquis illégalement ou servirait à financer une organisation génocidaire et terroriste,  n’est pas plus fondée. Jusqu’à ce jour le blocage des comptes de la famille procède de la décision du procureur et non d’un jugement. Elle n’est toujours pas soumise à un juge pour confirmation.

Enfin, en ce qui concerne l’Etat rwandais et ses dignitaires, il ne s’agit même pas, à proprement parler, de saisie conservatoire mais d’appropriation puisque certains biens sont vendus à l’insu des propriétaires et que les revenus tirés des biens “saisis” ne sont versés sur aucun compte ouvert à cet effet.

Charges judiciaires contre Félicien Kabuga

Le Front Patriotique Rwandais (FPR) et le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) accusent M. Kabuga F. de planification des massacres des Tutsi. L’administration américaine l’accuse de terrorisme. Pour étayer l’accusation de génocide des Tutsi portées contre M. Kabuga, le FPR et le TPIR avancent comme preuves les éléments suivants : l’importation des machettes, l’appartenance à l’Akazu, la mise à disposition des Interahamwe de son entreprise, la contribution au Fonds de Défense Nationale (FDN), la participation à l’actionnariat de la RTLM et la présidence de son comité d’initiative.

  1. L’ importation des machettes

Par un fallacieux raisonnement, ce fait réel est travesti en un acte criminel et en une preuve de la responsabilité de M. Kabuga dans le « génocide ». Il est vrai que M. Kabuga a importé des machettes pendant la guerre. Mais il ne les a pas importées seulement pendant cette période. Il les importait depuis 1981 car elles font partie, à l’instar des houes, des outils indispensables aux agriculteurs et aux éleveurs qui  représentent plus de 90% de la population rwandaise. Même les citadins s’en servent pour divers usages.

Par ailleurs contrairement aux affirmations du FPR, du TPIR et des journalistes pro-FPR, il n’a pas importé, en 1993, des quantités anormalement élevées et il ne les a jamais  distribuées gratuitement.

Enfin il n’en était ni le seul, ni le plus important importateur. D’autres hommes d’affaires y compris les Tutsi en importaient également et en quantités parfois plus importantes que lui. En 1993, la société Kishor Jobanputras, qui exerce toujours au Rwanda  en a importé pour 48.692.178 FRW alors que Kabuga n’en a importé que pour 14.856.185 FRW. L’usine, Rwandex-Chillington avait même été créée pour fabriquer localement les machettes et les houes. Sous le régime actuel du FPR, plusieurs commerçants continuent d’en importer et l’usine citée ci-dessus d’en produire. Pourquoi M. Kabuga aurait-il commis seul un crime en important les machettes ?

  1. L’appartenance à l’Akazu et le financement du MRND, des Interahamwe et du Fonds de Défense Nationale

Le FPR et le TPIR posent comme prémisse l’affirmation selon laquelle l’Akazu, groupe qui réunirait toutes les personnes proches de la famille du Président, constitue une organisation criminelle qui a planifié et commis les massacres des Tutsi. Ils en déduisent que tout individu, censé être membre de ce groupe, est impliqué dans le génocide des Tutsi. Comme M. Kabuga F. est lié, par alliance, au Président Habyalimana, il est d’office pris pour membre de l’Akazu et donc pour un génocidaire.

Or, rien ne prouve jusqu’à ce jour que ce concept d’Akazu correspond à une organisation réelle. Après plusieurs années d’enquête, le FPR et le TPIR ne sont toujours pas parvenus à dire quand il a été créé, qui était son chef, quels étaient ses membres, comment il était structuré et où il tenait ses réunions. Ils ont commis l’erreur de vouloir appliquer à la justice un concept flou et caricatural inventé par l’opposition intérieure pour dénoncer un certain népotisme du régime Habyarimana[3].

La politique, art du mensonge et de la manipulation par excellence, peut se permettre de jouer avec de telles notions. La justice, elle, doit se fonder sur des notions claires dont la compréhension et l’extension sont précises. En l’occurrence la proximité doit être bien définie pour pouvoir circonscrire ce groupe et son caractère d’association de malfaiteurs doit être démontré. C’est instrumentaliser la justice que d’accuser les gens au seul motif  qu’ils seraient proches du Président Habyarimana. Comme le reconnaît  la chambre de première instance III du TPIR, faire valoir des liens familiaux n’est pas suffisant pour soutenir une allégation invoquant une responsabilité de commandement. Protais Zigiranyirazo, beau-frère du président Habyarimana, et supposé être l’éminence grise de l’akazu, a été acquitté par le TPIR.

Quant aux Interahamwe, il est faux d’affirmer qu’il a mis son entreprise et son domicile à leur disposition pour l’entraînement au maniement des armes. Pourquoi les Interahamwe devaient-ils s’entraîner dans une maison ? Est-ce crédible ? A quel titre M. Kabuga devait-il intervenir dans la formation militaire des Interahamwe ? Il ne faisait partie ni de l’armée, ni de la direction du MRND. La chambre de 1ère instance, dans sa décision susmentionnée, a d’ailleurs estimé que le procureur n’a pas fourni d’éléments de preuves suffisants à l’appui de l’allégation selon laquelle M. Kabuga aurait mis à la disposition des Interahamwe son entreprise et son domicile.

Le MRND avait été créé dans le cadre de la constitution du 10 juin 1991 et de la loi sur les partis. Suivant les Accords d’Arusha du 4 août 1993, il devait également participer aux institutions de transition à base élargie et personne n’avait contesté sa participation. Il ne peut pas donc être assimilé à une association de malfaiteurs ou une organisation criminelle. Dans ce cas pourquoi avoir cotisé au MRND ou y avoir adhéré serait-il un crime ? M. Kabuga, comme tout autre citoyen, avait le droit d’être membre d’un parti de son choix.

Concernant le Fonds de défense nationale, il est également difficile de comprendre en quoi y avoir participé constitue un crime. Ce fonds avait été décidé, au début de la guerre, par les autorités légales, pour soutenir un effort de guerre. La guerre avait été déclenchée par le FPR dans le seul but de conquérir le pouvoir par la force. Le peuple et le gouvernement en place avaient le droit de s’opposer à cette prise du pouvoir par la force. Il n’y a rien de répréhensible non plus d’avoir participé, après la reprise de la guerre en avril 1994, à la redynamisation et au renflouement de ce fonds.

  1. Participation à l’actionnariat de la RTLM et présidence de son comité d’initiative

La RTLM n’était pas la seule société dans laquelle M. Kabuga F. avait engagé des fonds. Il avait investi dans d’autres sociétés rwandaises notamment la STIR, La Rwandaise, la BACAR et la BCR. La participation au capital de la RTLM répondait à sa politique de diversification de ses investissements. Contrairement à l’opinion répandue, il n’était ni majoritaire, ni le plus important des actionnaires. Il n’y détenait que des actions équivalentes à 0,5% du capital alors que certains actionnaires avaient souscrit le double de sa participation. Il ne pouvait donc pas en être le propriétaire. Kabuga F. n’a jamais prononcé des propos incitatifs à la haine dans un média quelconque ni avant ni après le 06 avril 1994.

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4. Financement de l’ALIR, organisation supposée  terroriste

L’administration américaine a inscrit l’ALIR (Armée de Libération du Rwanda) dans la deuxième section de la liste des organisations terroristes parce qu’elle aurait kidnappé et tué, en 1999, huit touristes étrangers dont deux citoyens américains.

Les coupables qui furent arrêtés par le régime du FPR sont : François Karake, Grégoire Nyaminani et Leonidas Bimenyimana, d’anciens militaires hutu qui avaient ‘‘avoués les faits’’. En 2003, Paul Kagame a envoyé aux Etats-Unis d’Amérique les trois rwandais. Après plusieurs années d’enquêtes, le Tribunal du District of Columbia a acquitté les suspects de toutes charges portées contre eux car des éléments de preuve ont montré que les aveux des suspects leur avaient été arrachés par des tortures des services secrets rwandais. Des témoignages d’un ancien officier du FPR, Aloys Ruyenzi, désigne les militaires du FPR comme les tueurs de ces touristes. Au mois de mai 2019, Leonidas Bimenyimana and Grégoire Nyaminani ont reçu asile en Australie.

Un dossier qui s’est dégonflé au fur des années

L’accusation de génocide ou de crimes contre l’humanité portées à l’encontre de M.  Kabuga F. procède d’un assemblage d’éléments, eux-mêmes construits à partir de contrevérités prises pour axiomes et de faux raisonnements du genre : les machettes ont été utilisées pour tuer les Tutsi. Or, il a importé les machettes. Donc, il a participé aux massacres des Tutsi. Le même faux raisonnement se tient à propos de la RTLM : la RTLM (Radio Télévision Libre des Mille Collines) a incité à la haine ethnique. Or, il en était actionnaire et président de son comité d’initiative. Donc il a incité à la haine ethnique. Le procureur du TPIR n’a pas jugé nécessaire de vérifier s’il y avait un lien nécessaire entre le commerce de machettes et les massacres des Tutsi et si la RTLM a été réellement créée pour prêcher la haine. Sur la base des mêmes fallacieuses déductions, il est accusé d’avoir planifié les massacres des Tutsi parce que, en tant que père de l’une des belles-filles du Président Habyarimana, il serait membre de l’Akazu, supposé être planificateur du génocide.

Le procureur du TPIR s’est contenté de poursuivre les personnes désignées par le gouvernement rwandais, dont certains sont victimes de l’instrumentalisation de cette institution par les autorités rwandaises pour des raisons de magouilles politico-financières. Il a souvent fondé ses inculpations et ses jugements sur la version des faits du régime FPR, le vainqueur, et sur les témoignages des personnes présentées par les associations de délateurs, contrôlées par ce même régime. C’est sans doute pour cette raison que, comme l’écrit André Guichaoua : « Dans tous les procès (du TPIR), de nombreux contre-interrogatoires de témoins démontrent à l’évidence la faible crédibilité des déclarations (des témoins) et soulignent crûment la faiblesse ou l’absence d’une instruction établissant des faits tangibles »[4]. Quand une personne adhère au FPR, elle devient innocente aussi bien pour la justice rwandaise que pour le TPIR et quand elle critique la politique du régime de Kigali, elle est étiquetée extrémiste, génocidaire, divisionniste ou négationniste par les deux justices. Or, comme le dit encore A. Guichaoua, dans l’article susmentionné : « Le TPIR n’est pas censé juger des prisonniers politiques mais des accusés qui portent personnellement la responsabilité des crimes commis ou qu’ils ont eux-mêmes perpétrés. »

Enfin, pour ne pas embarrasser les autorités de Kigali, le TPIR s’est gardé, jusqu’à date, de se prononcer sur le commanditaire et les auteurs de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana et d’avancer un nombre estimatif global des victimes Hutu qui pourraient être qualifiés de génocide si un tribunal s’y penchait, selon le Mapping Report.

Si le régime de Kigali s’est acharné contre M. Kabuga, ce n’est non pas parce qu’il a commis un quelconque crime contre l’humanité, mais parce que le FPR et l’Etat rwandais ont toujours cherché un moyen de se sortir de l’impasse dans laquelle ils se sont fourrés en détruisant sa résidence de Remera, en pillant ses stocks de marchandises, en vendant sa minoterie de Byumba, en exploitant, depuis bientôt 25 ans, ses plantations de thé et ses nombreux immeubles sans rien lui payer.

Il est dommage que le TPIR et la communauté internationale aient pris pour argent comptant les allégations du régime de Kigali accablant M. Kabuga Félicien.

Jean-Charles Murego

Bruxelles, le 17 mai 2020

http://www.echosdafrique.com


[1] Lettre du 10 août 2008 adressée à Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’ONU, par le Comité de soutien à Monsieur Félicien Kabuga et à sa Famille.

[2] Voir la décision du 24 juin 2005 de la chambre de 1ère instance du TPIR sur l’acte d’accusation amendé.

[3] Lire à ce sujet : Gaspard Musabyimana, Rwanda le mythe des mots. Recherche sur le concept « akazu » et ses corollaires, Paris, Editions L’Harmattan, 2008.

[4] Tribunal pour le Rwanda : De la crise à l’échec?, Le Monde du 03.09.2002