Par Sonia Rolley
C’est un témoignage rare sur la répression au Rwanda. Le journaliste indien Ajan Sundaram a vécu au Rwanda entre 2009 et 2013. Il formait des confrères rwandais aux techniques du journalisme dans le cadre d’un programme de l’Union européenne. Dans son dernier livre Bad News, enfin disponible en français, il raconte comment la presse indépendante a peu à peu disparu au Rwanda. Depuis l’arrivée de la rébellion du FPR et de son leader, Paul Kagame, au pouvoir, au moins 75 journalistes ont été tués, emprisonnés ou contraints à l’exil, un tous les trois mois. Ajan Sundaram est l’invité de Sonia Rolley.
RFI: Quelle était l’image que vous aviez du Rwanda, avant d’y travailler pour la première fois ?
Ajan Sundaram: Quand je suis arrivé en 2009, je suis venu pour former des journalistes rwandais et j’avais l’impression, comme beaucoup de monde maintenant, après avoir lu la presse internationale, que tout se passait à peu près bien. Il y avait des problèmes au Rwanda mais il y avait quand même du progrès. Les Rwandais étaient plus ou moins contents avec la direction que leur pays prenait.
Je suis donc arrivé pour former ces journalistes rwandais et ils m’ont alors présenté toute une autre vision. Au Rwanda, comme dans toutes les dictatures, il y a différents mondes. Il y a un monde que les visiteurs voient et il y a le monde que le gouvernement cache, un monde où les Rwandais subissaient une répression extrême, énorme. Une répression dont ils n’avaient pas le droit ni les moyens d’en parler.
Vous avez fait une liste de 75 journalistes, au moins, qui ont connu des événements violents, une forme de répression ?
Oui. C’est en moyenne un journaliste, tous les trois mois, pendant les vingt dernières années, soit qui a été tué, qui a disparu, qui a été forcé de quitter le pays suite à des menaces physiques ou bien qui a été emprisonné. Cela fait beaucoup. Par ailleurs, les collègues rwandais journalistes, quand ils voyaient ce qui arrivait à leurs collègues, à leurs confrères, savaient très bien le prix qu’ils devaient payer pour en parler.
Je ne l’avais pas réalisé, mais quand je suis arrivé au Rwanda pour former ces journalistes, j’ai hérité quelque part, dans mon cours, des derniers journalistes indépendants. J’ai commencé à les perdre, un par un. Ils commençaient à être harcelés, emprisonnés, attaqués, réprimés… et j’ai vu moi-même que j’assistais à quelque chose d’énorme, à la destruction de la presse indépendante dans un pays. C’est un événement historique et, justement, parce que la presse se détruisait, personne n’en parlait car normalement, c’est la presse qui parle.