Kagamé-Wrong (suite et pas fin ?)

Par Bertrand Loubard

Dans ma dernière livraison[1] sur : « Do not Disturb – The story of a political murder ….. [2]” de Michela Wrong, je me proposais d’aborder, en liaison avec ce livre, certains faits de l’actualité récente. Après « La pandémie « Sar Cov 2 » et « L’information sur le Génocide des Tutsi du Rwanda » 1, je voudrais aborder « certaines questions des relations franco-rwandaises ». J’ai dû faire un choix qui est, évidemment …. biaisé … la matière est trop abondante pour pouvoir être abordée d’une manière qui se voudrait presqu’exhaustive. Par après, dans une autre livraison, j’aborderai (peut-être), sans doute (trop) rapidement,

 – le Rapport Duclert et les « affaires Hubert Védrine et Paul Rusesabagina » ;

 – Paul Kagamé à Paris et le discours de Macron à Kigali ;

 – la vidéo Conférence tenue aux Pays-Bas du 29 mai 2021[3] : « How Can Rwanda Achieve True Reconciliation and Shared Prosperity  ?”avec, entre autres, l’ex – Ambassadeur de Belgique au Rwanda (1990-1994)

Les « relations » franco-rwandaises

A – En quelques dates  :

Des +/- 11.119 dates depuis le 1 octobre ‘90 jusqu’ aujourd’hui, je n’en n’ai retenu qu’une bonne trentaine …. Si on pouvait représenter ces 11.119 dates sur un folioscope[4] et les faire défiler en les effeuillant du pouce on pourrait imaginer voir quelques carnages et peut-être aussi quelques censures, « animés » .

Le 20 juin 1990 : discours de La Baule de François Mitterrand.

Le 01 octobre 1990 débute l’invasion du Rwanda par l’armée ougandaise.

Le 02 octobre 1990, Fred Gisa Rwigema est assassiné.

Le 21 décembre 1990, Emanuel Macron fête ses 13 ans.

Le 04 octobre 1990, l’Opération Noroît évacuent du Rwanda des ressortissants expatriés.

Le 04 août 1993 les accords de Paix d’Arusha sont signés.

Le 21 octobre 1993 Meichior Ndadaye (Président du Burundi) est assassiné.

Le 01 décembre 1993, l’armée française (Noroît) quitte le Rwanda.

Le 06 avril 1994 le Falcon 50 de la présidence rwandaise est abattu[5].

Le 08 avril 1994, l’opération Amaryllis évacue du Rwanda, 1.400 expatriés.

Le 14 avril 1994, fin de l’opération Amaryllis.

Le 22 juin 1994 Opération Turquoise commence.[6]

Le 17 juillet 1994 le FPR prend le pouvoir en investissant Kigali.

Le 24 août 1994 l’Opération Turquoise s’achève.

Le 16 novembre 2006, Bruguière[7] émet 9 mandats d’arrêts contre des officiels rwandais. 

Le 24 novembre 2006, les relations diplomatiques avec la France sont rompues[8].

Le 15 octobre 2008, le français est remplacé par l’anglais[9] dans l’enseignement rwandais.

Le 09 novembre 2008 Rose Kabuyé est arrêtée en Allemagne.

Le 27 novembre 2009 le Rwanda est admis dans le Commonwealth.

Le 29 novembre 2009, le Rwanda et la France rétablissent les relations diplomatiques.

Le 25 février 2010, Sarkozy, à Kigali, reconnait de « graves erreurs d’appréciations ».

Le 11 septembre 2011, Kagamé, à Paris.

Le 10 janvier 2012, Marc Trévidic et Nathalie Poux se rendent au Rwanda.

Le 17 juin 2014, le Centre d’Echanges Culturels Franco Rwandais, est démoli.

Le 9 juillet 2014 Trévidic et Poux terminent l’enquête.

Le 13 novembre 2014 : disparition d’Emile Gafirita[10].

Le 21 décembre 2017 abandon des poursuites françaises.

Le 16 janvier 2018 visite privée de Sarkozy au Rwanda[11].

Le 12 octobre 2018 Louise Mushikiwabo est secrétaire générale de l‘OIF.

Le 12 novembre 2018, visite de Kagamé à Paris.

Le 03 juillet 2020 le non-lieu dans l’enquête « Bruguière » est confirmé.

Le 31 janvier 2021 visite privée de Sarkozy au Rwanda[12].

Le 02 avril 2021 le Rapport Duclert.

Le 18 mai 2021, entrevue[13] France 24 et RFI avec Paul Kagamé à Paris.

Le 27 mais 2021 Macron prononce « Le Discours » de Kigali[14].

B – En quelques noms

– Noroît ; Amaryllis, Turquoise : aucun de ses trois « noms » ne sont repris dans l’« index » des pages 475 à 488.Op.Cit. Mais « Turquoise » est cependant citée incidemment, 2 fois, p 243 (si pas d’erreur de ma part) : « The RPF objected … all the tutsis had died … there was no one to save …. ». Mais Theogène Rudasingwa, dans ses mémoires : « Of course not all the Tutsis had died ….”

LIRE  CONDEMNATION OF THE VICIOUS ATTACK ON THE CEO OF HUMAN RIGHTS WATCH BY RWANDAN PARLIAMENT

– Le Juge Bruguière, n’est cité que deux fois par Michela Wrong : 

1 – « Il a été suggéré – par le juge français Jean-Lois Bruguière , entre autres[15] – que Sendashonga14 était prêt à donner la preuve de la responsabilité du FPR dans l’attentat contre l’avion présidentiel  ».(P 282)

2 – « Patrick Karegeya14 n’avait pas été inclus dans la liste des suspects du juge Bruguière » (P 372)

– Les Juges Marc Trévidic, Jean-Marc Herbaut et Nathalie Poux

A propos d’une déposition de 6 heures, début avril 2012, que Théogène Rudasingwa[16] a, faite à Paris, devant le Juge Trévidic, Michela Wrong écrit que (P.375) : “Le juge qui avait été nommé pour enquêter à nouveau sur l’écrasement de l’avion par l’administration française désireuse, sous le Président Sarkozy, de mettre les relations avec le Rwanda sur une nouvelle base, moins conflictuelle ».

– Gérard Prunier (78 ans)– René Lemarchand (89 ans)– Jan Vansina ( ț2017)

A propos de ce que l’historien Gérard Prunier confie à Michela Wrong de son expérience, celle-ci tire une conclusion assez bien exprimée (P 391 réf. 13 Chapitre 18) , bien que rarement explicitée d’une manière aussi claire : « La chose inquiétante à propos de l’enthousiasme débordant actuel de l’Occident pour la domination des hommes forts en Afrique centrale est la naïveté historique. Cela peut en partie être attribué à la jeunesse relative de tant de ceux qui interagissent avec le Rwanda. Alors qu’une génération plus âgée d’historiens et d’analystes se retire (Lemarchand) ou décède (Vansina), le Rwanda post-génocide est devenu l’un des pays africains « sexy » pour la recherche occidentale. Les conférences universitaires regorgent de nouveaux visages de chercheurs débutants »[17].

Michela Wrong cite, en note de fin de volume (P. 463 note 31 du Chapitre 12 – The best President Rwanda never had), René Le Marchand, concernant la position du FPR sur la « tactique » rwandaise selon Patrick Karegeya  : « Plus jamais » nous permettrons un massacre de notre peuple, …. une guerre sur le territoire rwandais …. C’est ainsi qu’Israël voit les choses, comment le Mossad agit et c’est ainsi que nous le voyons  ». René Lemarchand est l’un des nombreux universitaires et écrivains à souligner les dangers d’établir des analogies trop simplistes entre l’Holocauste et le génocide du Rwanda.

– Louise Mushikiwabo (sœur de Landoald Ndasingwa, Ministre du Travail du dernier gouvernement Habyrimana), est évoquée deux fois par Michela Wrong. D’abord en reportant (P 29 Op. Cit.) ce qu’elle aurait dit à propos de l’assassinat de Patrcick Karegeya, : « Cet homme était un ennemi autoproclamé du gouvernement et de mon pays, vous attendez-vous à de la pitié ? C’est la position de mon gouvernement : ce qui arrive à ses ennemis ne doit pas lui faire perdre le sommeil ». Il faut dire qu’elle se faisait l’écho de ce que le Général James Kabarebe avait déjà dit à ce même sujet : « Si vous choisissez d’être un chien vous mourrez comme un chien et les nettoyeurs évacueront les ordures pour que ça ne pue pas ».

Ensuite P. 404 :« Le FPR a également rafistolé les choses avec son vieil ennemi, la France. En octobre 2018, la ministre des Affaires Etrangères qui avait savouré le meurtre de Patrick Karegeya, a été nommée Secrétaire Générale de l’Organisation Internationale de la Francophonie  ».

– Rose Kabuyé[18] en « 1993 » (en Ouganda, suivant Adrien de MUN, dans « La Croix » du 20/11/2008) avait été « incarcérée » par Kagamé, pour d’obscures raisons (« gestion d’entreprise de taxis ! ? »). Mais elle était revenue en grâce auprès de Kagamé et était réapparue comme « Chef du Protocol de la Présidence rwandaise ». Elle a été arrêtée le 9/11/2008 à Francfort (mandat d’arrêt européen de Bruguière), extradée en France le 18/11, présentée au Juge Trévédic et laissée libre mais toujours en examen à ce moment-là. Ce qui aurait permis aux avocats[19] du Gouvernement rwandais d’avoir accès au dossier Bruguière. Elle est citée par Michela Wrong (P 215.) une première fois en tant que celle qui a fait arrêter, sous ordre de Salim Saleh, Bayinngana et Bunyenyezi, les présumés assassins de Fred Rwigema (Bayinngana et Bunyenyezi auraient été à leur tour « assassinés »). Depuis son « escapade-incartade-fuite en avant » germanique, elle a quitté les écrans radars (« out of the picture » seconde citation, P 438) et on est sans nouvelle de l’intéressée malgré (ou à cause de) sa proximité avec Bernard Kouchner (?). En 2011 Paul Kagamé commande au metteur en scène Alrick Brown, le film “Kinyarwanda”. Le rôle de Rose Kabuyé y est tenu par Cassandra Freeman. Elle s’y voit représentée comme l’égal du pasteur Martin Luther King !). Ce film a été « interdit » de sortie en Europe (et pour cause ?) ce dont ni le Président Macron ni le French Doctor n’ont eu cure de Paris à Kigali.

LIRE  Afrique : Le Chef militaire du Qatar reçu par Paul KAGAME à Kigali

– Emile Gafirita, dont il est question en note 10 de bas de page ci-avant, n’est pas cité explicitement par Michela Wrong dans son livre. Mais depuis la sortie de celui-ci en version papier Michela Wrong a donné de nombreuses interviews en français et en anglais et cite les très nombreux cas de disparitions inquiétantes (Guillaume Rutembesa), enlèvements (Paul Rusesabagina), arrestations arbitraires (Boniface Twagirimana) et exécutions extra judiciaires, maquillées en suicide (Kizito Mihigo).

Michela Wrong dans une de ses entrevues[20] aurait dit « Si j’avais eu encore des doutes au niveau de ce qu’était devenu le régime de Kigali, je les aurais perdus. Je remercie le régime » pour m’avoir bassement attaquée et insultée “suite à la publication de mon livre  ».

– Paul Kagamé

A propos de Kagamé , il faut noter, comme dit ci-dessus, que Michela Wrong souligne le fait que, si il y a si « peu » de critiques actuelles sur les 27 ans de pouvoir sans partage de Kagamé, c’est que les observateurs d’aujourd’hui sont trop « jeunes » et trop peu informés de l’histoire du pays telle que les plus anciens (Vansina, Prunier, etc.) la connaissaient. Mais Michela Wrong, elle aussi, parle encore du passé ougandais du FPR en des termes dithyrambiques d’épopée de jeunes idéalistes. Elle aurait pu sur ces points se rendre compte qu’il ne fallait pas être un grand politologue, psychologue, psychiatre ou « profiler » criminologue pour découvrir la véritable personnalité dont Paul Kagamé était et est toujours « souffrant », depuis son plus jeune âge. Ce n’est pas pour rien que ses « coreligionnaires », « Kadagos » de l’époque de la première heure des enfants soldats d’Afrique, l’appelaient, depuis ses classes primaires, « Kagome », « Pilato » « Siniya fo ». Personnellement, je mets sur le compte du manque de clairvoyance (coupable ?) l’attitude actuelle de nombre d’observateurs (qui se veulent objectivement critiques) consistant à présenter le régime de Paul Kagamé comme « en dérive » par rapport aux objectifs initiaux d’une cohorte de jeune héros idéalistes. En fait, il s’agit pour ces « observateurs » de la 25ième heure, d’un espèce de chemin de Damas dont ils sont fiers de parcourir les bornes et de reconnaître ainsi leurs errements (dans une autocritique à la mode). Ils reconnaissent avoir été séduits mais finalement trompés et avoir été ainsi les thuriféraires d’un dictateur dans l’essence, dans l’âme. En viendront-ils à brûler ce qu’ils ont adoré et à adorer ce qu’ils ont brûlé ? Alors que dès les premiers moments, « nous tous », aurions dû percevoir les signes précurseurs de la paranoïa galopante et de le schizophrénie caractéristique des malades du pouvoir tels que Kagamé les affichait.

Justement à propos de Paul Kagamé, quelques rappels nécessaires :

– Quelques mois avant la signature des derniers textes des accords de paix d’Arusha (4 août 1993) Paul Kagamé haranguait ses troupes en brandissant une Kalachnikov et en disant « Voilà notre démocratie. Notre démocratie, c’est la kalachnikov ».

– Le 7 décembre 2006 lors d’une interview avec Stephen Sackur de la BBC, Kagamé déclare : «  Non mais bien sûr, Habyarimana étant du côté de ceux que je combattais, il était possible qu’il meure facilement. Supposez que j’y eusse laissé moi-même la vie ; ce juge (Bruguière) serait-il en train de s’intéresser à ma mort et à celui qui m’aurait tué ?…Je dis que nous étions dans une situation de guerre. …. Je dis tout simplement qu’il n’est pas étonnant qu’un belligérant meure. ».. « D’abord je ne suis pas responsable de la mort de Habyarimana et je m’en fous  ! Je n’étais pas chargé de sa sécurité. Il n’était pas responsable de ma sécurité non plus. Et il s’en serait foutu si j’étais mort. Je me fous donc de ce qui lui est arrivé »

LIRE  Minisitiri James Musoni yaba yavanyweho amaboko, ubwo ubutegetsi bwemeye ko ashyirwa hanze?

– En 2009, lors de l’AG de l’ONU, le Ministre belge des Affaires étrangères de l’époque, Yves Leterme, avait été sollicité par Paul Kagamé : « ….Il m’est arrivé d’être choqué quand, lors d’un face-à-face avec un dirigeant étranger – que je me refuse à citer – celui-ci m’a demandé si je pouvais l’aider à arrêter, voire à tuer des gens ».

– Le 14/03/2019, face aux principaux officiels rwandais à propos d’un livre de Gérard Prunier : « En fait, Seth Sendashonga est mort parce qu’il a franchi une ligne rouge. Je n’ai pas beaucoup plus à dire, mais je ne vais pas m’excuser à ce propos ».

(https://www.rfi.fr/fr/afrique/20190314-rwanda-polemique-kagame-assassinat-opposant-sendashonga)

– Le 24 juin 2019 : « Just ridiculous –Juste ridicule” : Kagamé rejette le rapport de l’UE sur les droits de l’homme

https://www.france24.com/en/20190624-talking-europe-paul-kagame-rwanda-development-neven-mimica-eu-commission-human-rights

et

https://www.rfi.fr/fr/afrique/20190625-rwanda-passe-armes-entre-commissaire-europeen-paul-kagame

– Finalement la révélatrice attitude de délire du Ceausescu de l’Afrique des Grands Lacs, le « Génie des Virunga », est mise en évidence par sa diatribe anti-Mukwege

Sur RFI et France 24 : « Mukwege devient un symbole, un outil de ces forces qu’on ne perçoit pas. Il reçoit le Prix Nobel et on lui dit quoi dire »

Et finalement https://www.youtube.com/watch?v=2k7ldJnqQrE exemple authentique et rare de « langue de bois » (ou langue de bois rare) aux bégaiements si typiques Bega AOC….

Peut-on se demander dans quelles mesures les excommunications, les censures, les interdictions de parler auxquelles on assiste depuis un certain temps, en fonction d’un code de bonne pensée, peuvent-elles magnifier la mémoire et rendre les honneurs dus à toutes les victimes des drames humains …. sans discrimination ? En lisant Michela Wrong on s’aperçoit que ces questions, à propos du Rwanda, sont d’une actualité concrète et brûlante … et aussi, sans réponses précises, exactes et complètes, depuis tant de temps. La relecture de l’épilogue d’« Eichmann à Jérusalem » d’ Hannah Arendt ne s’imposerait-elle pas ?

(A suivre ?)


[2] Ed : « 4thEstate-London « ISBN 978-0-00-823887-2 (2021)

[5] Les Présidents du Rwanda et du Burundi, leurs délégations ainsi que les membres de de l’équipage, trois ressortissants français, sont tués.

[6] Sous couvert de la résolution 929 du Conseil de sécurité de l’ONU.

[7] Suite à une plainte des familles de l’équipage français eu Falcon 50

[8] A l’initiative du Rwanda.

[10] L’avocat Bernard Maingain donna les coordonnées de ce témoin du Juge Trevedic au Gouvernement rwandais, juste avant qu’il ne témoigne depuis la Kenya où il était réfugié

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/kagame-de-jeffrey-epstein-10-08-221746

[15] Suivant la veuve de Sendashonga : « Il a été assassiné le samedi ….. il devait se présenter, le mardi, à Arusha, où il lui avait été demandé de témoigner devant le TPIR » (P 282)

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/kagame-wrong-suite-kagame-a-paris-233265

[17] Exemple sur : https://journals.openedition.org/conflits/19403

« Danses macabres » : Une technologie culturelle du massacre des Tutsi au Rwanda

[19] Bernard Maingain (Belge) et Lef Foster (Français)