Ils ne sont pas venus me sauver, ils sont venus me tuer.»

Certains non rwandophones à la vue d’images et vidéos de familles dormant dans la rue à Kigali sur les ruines de leurs propres maisons et qui ont été abondamment partagées et commentées sur les réseaux sociaux ces derniers jours m’ont demandé de leur expliquer ce qui se passe dans la mesure où la plupart des articles, vidéos et commentaires étaient en Kinyarwanda.

Pour ceux la, je vous invite à lire cet article de RFI qui fait un bon condensé de la situation.

http://www.rfi.fr/afrique/20191218-rwanda-kigali-habitants-bannyahe-vent-debout-contre-evacuations

En résumé depuis 2016, la ville de Kigali a demandé à plusieurs milliers de personnes habitant dans des « zones à risques » (risques d’inondation principalement) de se trouver un nouveau logement.

Les locataires ou les propriétaires des maisons concernées ne se sont jamais exécutés et aux alentours du 10 décembre 2019, plusieurs d’entre eux ont reçu un avertissement ferme leur demandant de quitter leurs logements dans la quinzaine au risque de voir les autorités s’en charger.

D’après les témoignages de certains habitants concernés, deux jours seulement après cet avertissement les démolitions ont commencé et c’est à ce moment là que de nombreuses images ont commencé à circuler.

Sur certaines d’entre elles, on voit des civils (sous discrète surveillance de policiers armés) munis d’outils de fortunes (marteaux , houe…) entrain de détruire les maisons de leurs voisins.

Dans certains cas, ce sont même les habitants des maisons concernées qui détruisent leurs propres maisons avant de dormir à la rue.

Sur certaines images, on voit des personnes allant d’enfants en bas âge à des nonagénaires entrain de cuisiner ou dormir dans la rue sur les décombres de leurs propres maisons.

Sur d’autres on voit des citoyens assis ou debout dans la rue au milieu de bien matériels tels que des chaises, des tables, des matelas ou encore des portes.

Sur d’autres encore on aperçoit un homme désespéré, seul avec ses sacs, assis au milieu de la route en pleine circulation. Une image qui a frappé et qui a notamment rappelé Tiananmen à David Himbara, l’ancien conseiller économique du Général Kagame qui a fait une comparaison entre ce jeune et celui qui s’était élevé seul contres des tanks.

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Dans les témoignages qui circulent, certains habitants affirment avoir été forcés de détruire leurs propres maisons:

« L’Etat nous a ordonné de détruire nos maisons pour devenir des réfugiés, c’est une injustice sans nom, lorsque tu ne détruits pas ta maison non seulement ils viennent la détruire mais en plus ils te battent » témoigne ainsi un habitant concerné.

« Après avoir vu des récalcitrants se faire menotter et embarquer, nous avons choisi de ne pas résister et d’accepter la situation » témoigne un autre.

«J’étais entrain de dormir lorsqu’ils sont arrivés, ils m’ont réveillé et m’ont demandé de sortir mes biens. A peine j’avais sorti le premier meuble, qu’ils avaient déjà commencé la destruction, tous mes biens sont détruits,les seuls qui restent sont les plus solides» témoigne une autre en larmes.

Certains habitants concernés vont jusqu’à évoquer 1994 « ils nous ont ramené dans des périodes sombres, on avait plus vu ça depuis 1994 » témoigne ainsi une mère de famille dont la maison a été détruite.

Selon les statistiques des autorités rwandaises ce sont 6000 familles qui ont ainsi été « évacuées », parmi ces personnes , 4000 seraient logées par des « bénévoles » (notamment les amis et les membres de familles des victimes) , 1500 auraient reçu l’équivalent d’un mois de loyer calculé sur base de ce qu’ils payaient et « plus de 300 » seraient hébergées dans des écoles. Aucun chiffre officiel n’a été avancé sur ceux actuellement sans abris. Toujours selon ces chiffres depuis le départ, 2495 auraient été relogées.

Une compensation d’environ 90 000 francs rwandais (environ 90 euros) pour les propriétaires et 60 000 francs rwandais pour les locataires aurait été prévue.

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Selon certains habitants une telle compensation n’aurait toutefois pas (encore?) été versée ce que confirme la ville de Kigali qui s’en défend en expliquant que ces démolitions ont été faites en raison de catastrophes qui pourraient survenir, spécialement les inondations et qui peuvent coûter la vie aux habitants « la première priorité est de sauver des vies, les compensations suivront pour ceux qui avaient des titres de propriété » tweet ainsi la ville, un message accompagné du hashtag « sauver des vies (#savinglives) ».

Au niveau des réactions, comme c’est systématiquement le cas lorsqu’il s’agit du Rwanda, elles sont extrêmement contrastées, mais on peut y dégager trois grandes tendances.

Pour les autorités rwandaises « les activités de « relocalisation » en cours visent à sauver la vie des citoyens « non à les rendre sans abri» les autorités affirmant être entrain de faire de leur mieux pour faire en sorte que ces personnes « se sentent confortables dans leurs nouvelles demeures».

Une mesure saluée par certains supporters comme cette internaute qui écrit que « dormir à l’extérieur ne tue pas, en plus ils ne vont pas rester sans abris longtemps avant d’être relogés dans des lieux qui ne mettent pas leurs vies en danger.»

Selon les médias pro-gouvernementaux la mesure serait même saluée par les personnes expulsées (ou plutôt « relocalisées » pour rester fidèle à la terminologie des autorités).

Un habitant de 66 ans dont la maison a été détruite et qui loge depuis dans une école avec sa famille de 16 personnes, témoigne ainsi dans les colonnes du New Times « les dirigeants nous ont conseillé de déménager car nous étions exposés aux inondations, (…) ils nous ont averti qu’en cas de catastrophes, nos vies seraient en danger, (…) nous n’avons pas été forcés, ils nous ont sauvé, nous aurions pu y perdre la vie »

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https://www.newtimes.co.rw/news/government-6000-evacuated-high-risk-zones-week

D’autres affirment comprendre les objectifs de la mesure mais dénoncent les conditions inhumaines dans lesquelles cela a été fait à quelques jours de noël et en pleine saison des pluies et dénoncent en particulier le fait d’une part, de démolir des habitations avant d’avoir une alternative pour les familles concernées et d’autre part, le fait de détruire les maisons sans compensation.

Enfin, une dernière catégorie de personnes remet en cause l’ensemble du projet, qui serait l’expression la plus sauvage d’un capitalisme qui aurait pour projet de chasser les habitants pauvres de la ville de Kigali.

Un sentiment de délaissement que décrit cet habitant concerné par les destructions « la justice ne s’applique qu’aux riches nous les pauvres, nous sommes insignifiants, une chose comme ça arrive et tout le monde s’en fout »

Pour ceux qui avancent l’hypothèse d’une mesure visant à chasser les pauvres, la précipitation observée serait due au fait qu’en juin 2020, un prestigieux sommet du Commonwealth est prévu à Kigali, faisant en sorte que les autorités rwandaises veulent montrer la plus belle façade d’un development souvent vanté notamment par le FMI ou la banque mondiale.

Un homme âgé ayant vu sa maison détruite et qui est actuellement logé dans une école au sein de laquelle il ne serait pas nourri se pose la question suivante :

« Est ce que vraiment si tu avais pitié d’une personne et que tu voulais lui sauver la vie, tu la ferais mourir de faim? En sachant bien qu’une personne vit grâce à l’alimentation? Est ce que tu serais entrain de la protéger ou la torturer? Ils ne sont pas venus me sauver, ils sont venus me tuer.»